Israël-Palestine: 50 ans de passion française en BD

Ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique Alain Gresh a eu l’idée inattendue de choisir la bande dessinée pour revenir sur l’histoire du conflit israélo-palestinien et sur le rôle que la France, y a joué depuis un demi-siècle.

Voici un livre [[Alain Gresh et Hélène Aldeguer « Un chant d’amour, Israël-Palestine, une histoire française ». La Découverte, 192 pages, 22 euros.]] que le président de la République aurait avantage à lire. Surtout à la veille de recevoir Benjamin Netanyahou, invité à Paris à l’occasion du 75ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942. Cette confusion délibérée entre les crimes antisémites commis par l’Etat, les « fautes du passé », justement reconnues et condamnées par Jacques Chirac en 1995, et la présence à Paris du premier ministre qui nie les droits des Palestiniens, occupe et colonise leur terre, et qui s’efforce d’assimiler toute critique de sa politique à une agression antisémite est pire que désastreuse, imprudente dans le pays où coexistent les plus importantes communautés juive et musulmane d’Europe. Elle établit un amalgame malsain, entretenu, jour après jour, par la coalition d’extrême droite qui gouverne aujourd’hui Israël entre la cause des Français juifs et celle que défendent, en violation du droit international, les actuels dirigeants israéliens.

Ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur de l’excellent site d’information « Orient XXI » et auteur de nombreux livres sur l’histoire du Proche-Orient et le conflit israélo-palestinien, Alain Gresh a eu l’idée inattendue mais judicieuse de choisir la bande dessinée pour revenir sur l’histoire ce conflit, « passion française » qui, depuis 1967, « déchire les partis politiques, divise les milieux diplomatiques, agite le monde intellectuel, ébranle les journalistes, mobilise les artistes et, bien souvent, scandalise l’opinion publique ».

Mais autant la dessinatrice, Hélène Aldeguer a laissé libre cours à son imagination et ses choix graphiques, autant l’auteur des textes Alain Gresh, est resté fidèle à la réalité des faits. Alimenté par de solides recherches dans les archives diplomatiques, les médias français et étrangers et une riche documentation personnelle, le récit relève de « l’histoire immédiate » observée et restituée par un connaisseur intime. Il recèle d’ailleurs, quelques pépites, oubliées ou négligées, qui valent le détour. Comme cette chanson – « Oui, je défendrai le sable d’Israël, la terre d’Israël, les enfants d’Israël. Quitte à mourir pour le sable d’Israël, la terre d’Israël, les enfants d’Israël. Tous les Goliaths venus des pyramides reculeront devant l’étoile de David » – composée par…Serge Gainsbourg en 1967, lors de la guerre de juin. Où cette « une » de France-Soir, du 5 juin 1967, annonçant « Les Egyptiens attaquent Israël », alors que l’inverse venait de se produire, comme le confirmera peu après le général Yitzhak Rabin. Ou encore cette déclaration de Jean-Paul Sartre expliquant en 1972, lors de la prise d’otages et la mort des 9 athlètes israéliens au Jeux Olympiques du Munich que « les Palestiniens n’ont pas d’autre choix, faute d’armes, de défenseurs, que le recours au terrorisme ». Ou ce rappel des premiers contacts secrets, à Paris, en 1976, à l’initiative d’Henri Curiel entre un émissaire de Yasser Arafat, Issam Sartaoui et le général israélien Mattiyahu Peled représentant le « Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne ».

En moins de 200 pages, c’est l’histoire d’un demi-siècle de relations toujours passionnées mais changeantes, que décryptent Alain Gresh et Hélène Aldeguer. Car après les années de solidarité et de soutien diplomatique – et militaire – pour le « petit David » israélien menacé, il y aura, au lendemain de la guerre de 1967, l’embargo gaullien sur les livraisons d’armes – en particulier les Mirage III – à Israël, puis la phrase du général, lors d’une conférence de presse sur les juifs, « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur ».

Puis la découverte par la France de la cause des palestiniens, le refus du ministre des affaires étrangères Michel Jobert en 1973 de condamner l’attaque égypto-syrienne pour récupérer le Sinaï et le Golan occupés. La reconnaissance de l’OLP par Paris, le discours de François Mitterrand, réputé ami d’Israël rappelant, devant la knesset que les Palestiniens peuvent légitimement aspirer à un Etat, la déclaration en pleine guerre du Liban, du même Mitterrand, selon laquelle il n’acceptera pas un Oradour à Beyrouth. L’aide apportée par l’armée française à l’évacuation des combattants palestiniens à Beyrouth, puis à Tripoli. Le soutien renouvelé par Chirac à la solution à deux Etats, dont les accords d’Oslo en 1993 auraient dû être la première étape.

Puis l’infléchissement discret en faveur d’Israël de Nicolas Sarkozy, premier chef de l’Etat français à se rendre au diner du Crif. Et la poursuite de cet infléchissement par François Hollande, qui se déclare favorable à la poursuite des négociations israélo-palestiniennes sans conditions, c’est à dire sans gel – au moins – d’une colonisation en plein essor. Et le soutien à Netanyahou lors de l’opération militaire contre Gaza qui fera plus de 2000 morts palestiniens et 70 morts israéliens en 2014. Six mois après le voyage du président français dans les territoires palestiniens où il avait affirmé « je serai toujours l’ami d’Israël » et promis, pathétique, qu’il trouverait toujours « un chant d’amour pour Israël ».

Certes, c’est à l’initiative de la diplomatie française, sous la présidence Hollande finissante, que la dernière tentative de résurrection du processus de paix a été lancée en janvier 2017. A ce jour en vain. Mais quelle crédibilité peut avoir une diplomatie qui condamne verbalement le développement permanent et mortifère de la colonisation, sans prendre la moindre mesure concrète pour amener l’occupant à respecter le droit international et les résolutions de l’ONU ? A l’heure où Emmanuel Macron, qui n’ose pas s’engager à reconnaître l’Etat de Palestine, s’apprête à accueillir Benjamin Netanyahou pour un motif contestable, la lecture de ce livre apporte un salutaire rappel de ce que furent, dans le conflit israélo-palestinien les petits courages et les grandes couardises françaises.