Lettre ouverte à l’ambassadrice à l’ONU Nikki Haley au sujet de notre rapport sur l’apartheid en Israël

Au lieu de répondre à celui-ci par une critique constructive, vous avez lancé des attaques diffamatoires envers toutes les personnes concernées.

Madame l’Ambassadrice :

Nous avons été profondément déçus par votre réponse à notre rapport, LesPratiques israéliennes envers les Palestiniens et la Question de l’Apartheid, et particulièrement par le rejet de celui-ci en tant que “propagande anti-israélienne » quelques heures après sa parution. La Commission Economique et Sociale des Nations Unies pour l’Asie Occidentale (CESAO) nous à invités à entreprendre une étude savante complète. Son objectif principal était de vérifier si les politiques et pratiques israéliennes imposées aux Palestiniens relèvent de la définition de l’apartheid établie par le droit international. Nous avons fait de notre mieux pour mener l’étude avec le soin et la rigueur qui incombent moralement dans une telle tâche importante, et bien sûr nous faisons bon accueil à la critique constructive portant sur la méthode ou sur l’analyse utilisées pour le rapport (ce pour quoi nous avons aussi sollicité plusieurs éminents chercheurs avant sa parution). Jusqu’ici nous n’avons reçu aucun renseignement relevant les lacunes que vous avez trouvé dans le rapport ou précisant de quelle manière il pourrait avoir manqué de se conformer aux normes scientifiques de rigueur.

Au lieu de ceci, vous ne vous êtes pas gênée de fustiger l’ONU pour avoir commandé le rapport et nous-mêmes pour en avoir été les auteurs. Vous avez lancé des attaques diffamatoires envers toutes les personnes concernées, destinées à discréditer et à calomnier les messagers au lieu d’expliquer vos critiques du message. Les attaques ad hominem sont habituellement la tactique de ceux qui sont assez envahi par le zèle politique pour avoir en horreur une discussion rationnelle. Nous supposons que vous ne souhaiteriez pas normalement donner cette impression de vous-même et votre équipe, ou présenter au monde la diplomatie des USA sous un tel jour. Pourtant, vos déclarations sur notre étude, telles que rapportées dans les médias, donnent assurément cette impression.

Nous avons particulièrement troublés par l’extraordinaire pression que votre bureau a exercé sur le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, l’amenant apparemment à ordonner d’abord le retrait du rapport du site Internet du CESAO et à accepter ensuite la démission de la distinguée et hautement respectée secrétaire exécutive du CESAO, Rima Khalaf, qu’elle a présentée par principe au lieu de désavouer un rapport dont elle estimait qu’il avait respecté les normes scientifiques, qu’il avait défendu les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international, et qu’il avait donné lieu à des constatations et à des recommandations essentielles pour les procédures de l’ONU.

Au lieu d’utiliser cette tribune mondiale pour demander un débat critique sur le rapport, vous avez utilisé le poids de votre bureau pour l’annuler. Ces dénonciations véhémentes véhiculent une apparence sérieuse de maintien d’une position dépourvue de critique envers Israël de la part du gouvernement des USA, protégeant à l’ONU de façon automatique et inconditionnelle le gouvernement d’Israël de toute critique, qu’elle soit méritée ou non, sur le plan du droit international. Une telle position amoindrit la réputation des USA en tant que nation qui défend les valeurs de vérité, de liberté, du droit et de la justice, et qui est au service de la communauté mondiale en tant que dirigeant régional et mondial. Elle détourne aussi le débat de graves préoccupations cruciales.

Il se peut que le seul mot d’ « apartheid » ait été suffisant pour déclencher votre réponse, une réaction indubitablement encouragée par la dénonciation instantanée de notre rapport par Israël. Dans l’initiative publique d’Israël qui a suivi, toutefois, vous manquez de prendre en considération que les dirigeants israéliens ont eux-mêmes pendant des décennies compris et averti des caractéristiques d’apartheid de leurs politiques. Le très admiré Yitzhak Rabin, deux fois premier ministre d’Israël, a une fois confié à un journaliste de télévision, “Je ne pense pas qu’il soit possible à long terme de contenir, si nous ne voulons pas en arriver à l’apartheid, un million et demi (de plus) d’ Arabes dans un état juif.” Les premiers ministres Ehud Olmert et Ehud Barak ont tous deux prévenu qu’Israël risquait de devenir un état d’apartheid et mis en garde leurs électeurs sur ce qui arriverait à Israël si les Palestiniens prenaient conscience de cela et lançaient une lutte contre l’apartheid. L’ancien procureur général d’Israël, Michael Ben-Yair, a carrément déclaré, “nous avons créé un régime d’apartheid dans les territoires occupés.” Ces Israéliens célèbres étaient des observateurs lucides des politiques de leur propre pays aussi bien que des patriotes, et ce sont leurs mises en garde, autant que toute autre source, qui ont incité les états membres de la CESAO à considérer que la possibilité d’un régime d’apartheid existant dans ce contexte devait être prise au sérieux et ont donc commandé le rapport qui fait maintenant l’objet d’attaques.

Il est donc totalement inapproprié et erroné de votre part d’accuser que, simplement en acceptant cette commande, nous, en tant qu’auteurs, étions motivés par l’anti-sémitisme. L’inverse est vrai. Pour expliquer cette affirmation, nous attirons votre attention sur deux aspects du rapport qui, nous l’espérons, vous amèneront à reconsidérez votre réponse.

Premièrement, le rapport s’en tient avec précaution pour sa définition opératoire de l’apartheid à celles offertes dans la Convention de 1973 sur la Suppression et la Punition du Crime International d’Apartheid et le Statut de Rome de 2002 du Tribunal Pénal International. Il ne s’appuie pas sur des définitions élaborées au cours de polémiques sur le conflit ou adoptées en passant à partir de sources sur Internet. Etant donné que la Convention de 1973 et le Statut de Rome font partie du même ensemble de lois qui protège les Juifs, aussi bien que toutes les personnes dans le monde, de la discrimination, cette définition qui fait autorité ne doit pas être mise de côté. Toute critique responsable doit donc être engagée avec ces définitions juridiques, et avec l’ensemble plus important de la jurisprudence internationale sur les droits de l’homme dans lequel elles sont placées, afin d’aborder le rapport pour ce qu’il dit réellement au lieu de concocter un homme de paille qui peut être facilement congédié. Nous espérons que vous réexaminerez le rapport dans cette optique.

Deuxièmement, les états membres de la CESAO ont demandé qu’une étude soit commandée pour examiner si les politiques d’apartheid d’Israël comprenaient les Palestiniens dans leur ensemble. Ceci signifiait que, en tant qu’auteurs, il nous était demandé de prendre en considération les Palestiniens vivant dans quatre régions géographiques dans quatre cadres ou « zones » juridiques : ceux vivant dans les territoires occupés, ceux qui habitent à Jérusalem, ceux vivant en Israël en tant que citoyens, et ceux vivant dans les camps de réfugiés ou dans un exil involontaire. Pour chaque zone, nous avons trouvé que les pratiques et les politiques israéliennes sont, en droit, discriminatoires en elles-mêmes. Mais, chose plus importante, nous avons trouvé que pour toutes les quatre elles fonctionnent comme un système global qui est conçu pour dominer et opprimer les Palestiniens afin de maintenir Israël en tant qu’état juif. C’est tout ce système de domination, trop longtemps mal compris en traitant des Palestiniens comme placés dans des cadres sans rapport entre eux, qui produit le régime de domination qui est conforme à la définition de l’apartheid dans le droit international. De plus, c’est ce système qui a sapé, et qui continuera à saper, la solution à deux états pour laquelle les Etats-Unis ont engagé leur prestige diplomatique au cours de plusieurs présidences antérieures. L’évaluation de la viabilité de cette position diplomatique à la lumière des conclusions de ce rapport pourrait, nous le proposons, être capital pour la crédibilité de la politique étrangère des USA et ne doit pas être bloqué par des considérations politiques.

Enfin, nous trouvons profondément troublant le fait que vos objections à notre rapport se soient étendues à la critique de l’ONU elle-même, en partie sous prétexte que l’ONU consacre une attention excessive à la question de la Palestine. D’une part, ce raisonnement repose sur une « fausse information » : l’ONU, et la CESAO, s’intéressent à une vaste gamme de problèmes, ensemble dont Israël ne constitue qu’une petite partie. D’autre part, nier que l’ONU ait ici un rôle particulier est ignorer la responsabilité exceptionnelle de l’ONU en ce qui concerne ce conflit. Immédiatement après la Seconde Guerre Mondiale, une Grande-Bretagne épuisée par la guerre, alors la puissance Mandataire en Palestine du fait des dispositions qui ont suivi la Première Guerre Mondiale, a remis l’avenir de la Palestine à l’ONU en vue d’une solution. Par conséquent, l’ONU s’est vue, dès le début de son existence, confier la responsabilité de trouver une solution au conflit en Palestine. Cette responsabilité n’était à nulle autre pareille détenue par l’ONU n’importe où ailleurs dans le monde. Sept décennies de souffrances humaines et d’insécurité ont découlé de l’échec de l’ONU à s’acquitter de cette obligation—non parce qu’elle a accordé trop d’attention à Israel mais parce qu’elle n’a pas été capable de faire peser suffisamment son autorité pour donner naissance à une paix juste et durable. Pour des observateurs capables d’examiner le conflit avec impartialité, il est devenu évident que ce qui s’est produit en Palestine ne peut être résolu que lorsque les droits et la sécurité à la fois des Israéliens et des Palestiniens seront pris en compte. L’ONU continue à avoir un rôle essentiel dans cette mission, et il est capital que les états qui en sont membres, y compris les Etats Unis, endossent ce rôle et fassent de leur mieux pour améliorer son efficacité.

Nous espérons que notre rapport puisse provoquer un débat sur tous ces problèmes. Particulièrement, nous espérons que ses conclusions susciteront un examen de cette question par des organismes juridiques ayant autorité tel que la Cour Internationale de Justice. Nous n’avons pas cherché une empoignade. Par conséquent nous demandons maintenant respectueusement, dans ce contexte, que notre rapport soit lu dans l’esprit dans lequel il a été écrit, en ayant pour but la sûreté, la sécurité, et la paix pour toute personne qui vit actuellement dans le territoire sous le contrôle d’Israël. En tant qu’auteurs du rapport, ceci a toujours été notre cadre de valeurs, et nous gardons toujours l’espoir que les questions importantes en jeu ne seront pas enfouies sous une avalanche d’insultes à nos raisons et à notre personne tendant à faire diversion. Les accusations de crimes contre l’humanité ne doivent pas être laissées de côté par respect pour les liens politiques qui attachent étroitement les Etats-Unis et Israël, ou pour des raisons d’opportunité politique. De tels subterfuges ne peuvent que affaiblir le droit international et nous mettre tous en danger.

Salutations distinguées,

Richard Falk, Professeur honoraire de droit international, Université de Princeton

Virginia Tilley, Professeur de sciences politiques, Université du Sud de l’Illinois