Pétition à l’attention de Philippe Baptiste, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Espace
Nous, étudiantes, étudiants, personnels de l’enseignement supérieur, citoyennes et citoyens attaché-e-s à la lutte contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme, exprimons notre profonde inquiétude quant à l’enquête nationale sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur et la recherche, annoncée dans un courrier daté du 18 novembre 2025 et signé par M. Jean-Luc Moullet, directeur général de la recherche et de l’innovation. L’examen, tant de la méthodologie d’enquête que du questionnaire prévu, semble comporter de graves dangers.
Utiliser un recensement (tous les personnels sollicités par leur hiérarchie pour répondre à un questionnaire, ainsi que toutes les étudiantes et tous les étudiants par leurs établissements) n’est pas une opération courante et ne semble pas avoir fait l’objet des déclarations nécessaire auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ou d’une étude d’impact relative à la protection des données (article 35 du règlement général de protection des données – RGPD).
Le processus d’enquête retenu semble loin de garantir l’anonymisation et donc la protection des personnes répondantes. Il contient au contraire des questions dont le rapprochement est propre à permettre l’identification de chaque répondante et répondant.
Le recours à un lien de redirection Google, une entreprise soumise à la juridiction américaine, interroge sur sa compatibilité aux règles fixées par le RGPD.
La transmission du questionnaire par la voie hiérarchique place les personnels dans une situation ambiguë au regard de leur lien de subordination. Il ne peut y avoir de consentement libre et éclairé à répondre à des questions aussi sensibles dans un tel cadre.
Des questions dites sensibles vont être posées. Or, il n’appartient pas à l’Etat de collecter des données sur les opinions religieuses ou politiques des agents publics. La liberté d’opinion est un principe constitutionnel garanti. Le ministère ne peut, sans enfreindre les dispositions de la loi de 1983 sur le statut des fonctionnaires, ni solliciter, ni traiter de telles données, même sous couvert d’anonymat. Le détail des informations collectées (par université, par UFR, etc.) inquiète sur l’usage qui pourrait en être fait.
Concernant le questionnaire de recensement, il utilise des concepts comme « antisémitisme », « islamophobie », « sionisme » sans jamais les définir, ni demander comment les personnes les comprennent. Il opère des amalgames problématiques entre actes ou propos antisémites, questions sur la perception des personnes d’origine juive, opinions sur le conflit israélo-palestinien, positionnements politiques et soutien à la cause palestinienne. De telles confusions compromettent toute interprétation scientifique d’une enquête.
En associant dans les mêmes tableaux des positions politiques et des propos ou actes antisémites, le questionnaire contribue à politiser artificiellement un sujet qui requiert au contraire rigueur, précision et objectivité. Loin de renforcer la lutte contre l’antisémitisme, cette démarche contribue à créer de la confusion, à alimenter des polémiques et des émotions, au détriment de la protection nécessaire de toutes les personnes membres des communautés universitaires. Faire un recensement d’opinions auprès des fonctionnaires et d’étudiantes et étudiants n’apparaît en aucune façon adéquat à l’objectif affiché.
Tout semble concourir à ce que ce recensement donne lieu à des interprétations inappropriées pour éclairer l’action publique. Le traitement médiatique d’autres enquêtes menées sur des sujets controversés, avec des méthodologies inadéquates, invite également à la prudence.
Les enquêtes sur le racisme et l’antisémitisme sont nécessaires. Elles sont prévues par la loi du 13 juillet 1990 contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, dans son article 2 : chaque année, « la Commission nationale consultative des droits de l’Homme remet un rapport sur la lutte contre le racisme » au Premier ministre.
Etant donné tous les problèmes que soulève cette enquête, nous vous demandons instamment de la retirer.
Nous appelons les présidences d’université et autres établissements d’enseignement supérieur à ne pas la diffuser.
Nous recommandons aux étudiantes, étudiants et personnels de ne pas remplir ces questionnaires qui pourraient être utilisés contre elles et eux, y compris au niveau individuel.
Premières organisations signataires : Syndicat national de l’enseignement supérieur (SNESUP-FSU), CGT FERC Sup, Sud Education, SNPTES-UNSA, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Association pour la liberté académique (ALIA), Coordination Antifasciste pour l’affirmation des libertés académiques et pédagogiques (CAALAP), Observatoire des atteintes à la liberté académique (OALA).
