Jeudi 20 novembre ont eu lieu les obsèques de treize jeunes, tués deux jours plus tôt par un bombardement israélien. Au nom d’une opération contre la présence du Hamas au Sud-Liban, il s’agit d’un des pires bilans humains depuis qu’un cessez-le-feu est entré en vigueur il y a un an.
SaïdaSaïda (Liban).– Une foule en deuil défile dans les rues de Saïda (Sidon), petite ville portuaire libanaise, brandissant des photos de jeunes hommes souriants. Ces visages sont ceux des victimes tuées en plein match de football lors d’une attaque israélienne, mardi, contre le camp palestinien d’Aïn El-Héloué au Liban.
Il s’agit d’une des attaques les plus meurtrières depuis qu’un cessez-le-feu a été signé en novembre dernier entre Israël et le Hezbollah. Le bombardement a tué 13 personnes, selon le ministère libanais de la santé. D’après Fadi Salameh, directeur administratif de l’hôpital Hamshari, près d’Aïn El-Héloué, qui a reçu plusieurs corps de victimes, la plupart des jeunes tués avaient entre 16 et 24 ans.
Les habitant·es d’Aïn El-Héloué peinent à comprendre comment un terrain de football, situé en plein milieu d’une zone résidentielle densément peuplée, a pu devenir une cible militaire légitime. « Tout est devenu rouge, de sang et de feu », raconte Ahmed*, un des premiers à avoir porté secours aux victimes, s’exprimant sous pseudonyme.
Il achetait un sandwich à une centaine de mètres du terrain visé, situé dans le quartier de la mosquée Khalid ibn al-Walid, quand les avions israéliens ont commencé à bombarder. « J’ai entendu trois explosions. J’étais l’un des premiers sur place. J’ai vu des corps déchiquetés, du sang partout, j’ai collecté des morceaux de gens, dont j’ai rempli mon camion, dit-il. C’étaient des enfants, ils jouaient au foot. »
Avichay Adraee, porte-parole arabophone de l’armée israélienne, a annoncé, sans identifier la cible, que la frappe avait été menée contre « des éléments terroristes opérant dans un complexe d’entraînement du Hamas au Sud-Liban ». L’armée a déclaré avoir pris « des mesures pour éviter tout dommage aux civils » et agir « contre la présence du Hamas au Liban ».
Des scouts du Hamas
Des résidents d’Aïn El-Héloué affirment que le terrain de football faisait partie d’un centre de loisirs ouvert à tous, même si le Hamas assure la sécurité dans cette zone, où il est particulièrement influent. Aïn El-Héloué est le plus grand camp palestinien du pays. L’armée libanaise n’y entrant pas, ce sont les factions armées palestiniennes, dont le Hamas, qui gèrent la sécurité interne.
Ces groupes armés jouent aussi un rôle politique et social considérable, et organisent notamment des mouvements de scoutisme auxquels beaucoup de jeunes Palestiniens des camps adhèrent. Selon le droit humanitaire international, l’appartenance politique ne constitue pas un critère suffisant pour faire d’une personne ou d’un lieu une cible militaire légitime.
Certaines victimes de l’attaque semblent avoir été membres du mouvement scout du Hamas. Sur les photos des défunts, aux couleurs du Hamas, qui parsèment la procession funéraire, certains jeunes arborent les foulards traditionnels des scouts noués autour de leur cou. Plusieurs résidents du camp affirment que ces mouvements de scoutisme ne sont pas militarisés et se concentrent sur l’enseignement religieux, culturel et l’organisation d’événements sportifs.
Maher Khalil, oncle de Mohamed, une des victimes tuées dans l’attaque, affirme que le stade n’avait aucune affiliation politique et qu’il s’agissait seulement d’un lieu de socialisation. « Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? C’étaient des scouts, ils jouaient, ils pratiquaient le foot, il n’y a rien de politique là-dedans », dit-il.
Le Hamas a condamné dans un communiqué une « attaque barbare » et nié les accusations selon lesquelles le lieu ciblé serait un « complexe d’entraînement appartenant au mouvement », dénonçant de « pures calomnies et mensonges, [qui] visent à justifier [l’]agression criminelle [israélienne] et à inciter à la haine contre les camps et [le] peuple palestinien ».
Frappes quasi quotidiennes
Depuis plusieurs semaines, Israël fait monter la pression au Liban en augmentant ses attaques, malgré l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu négocié par les États-Unis et la France entre l’État hébreu et le Hezbollah.
Depuis la trêve, qui a mis fin à treize mois de combats, Israël a continué à frapper le Liban presque quotidiennement, essentiellement au sud, créant de facto une zone tampon à la frontière, où toute reconstruction est désormais impossible. La violence et l’instabilité empêchent le retour des dizaines de milliers de personnes dans les villages frontaliers.
Selon l’ONU, plus de 100 civils ont été tués dans des frappes israéliennes depuis le cessez-le-feu. Israël affirme viser des cibles du Hezbollah, qu’il accuse de se réarmer. Selon les termes de l’accord, tous les acteurs non étatiques au Liban, dont le Hezbollah et son allié le Hamas, sont censés déposer leurs armes, tandis qu’Israël doit retirer ses troupes du pays et cesser de violer l’espace aérien de son voisin. Israël continue d’occuper cinq positions au Liban et a récemment construit un mur couvrant une superficie de plus de 4 000 mètres carrés de terres libanaises.
L’attaque serait un rappel sanglant de ce qui pourrait attendre le Liban « à plus large échelle » si l’État échoue à gagner le contrôle exclusif sur les armes.
En septembre, l’État libanais a approuvé un plan de désarmement historique, visant tout particulièrement le Hezbollah et les factions palestiniennes dans les camps, afin de restaurer le monopole étatique sur les armes, dont Israël estime la mise en œuvre trop lente.
Accusant l’État libanais de complaisance, Israël a répété qu’il n’arrêtera ses attaques qu’une fois que le Hezbollah sera complètement désarmé, tandis que le Hezbollah refuse de discuter d’un plan de désarmement tant que les frappes continuent.
L’attaque, selon l’analyste politique Karim Mufti, fait partie d’une volonté d’Israël de prolonger ses succès tactiques. « Il s’agit d’éliminer un maximum d’opérateurs, d’agents, de leaders, d’officiers, de sous-officiers et toute ressource humaine ou autres qui pourrait requinquer les groupes armés comme le Hezbollah et le Hamas », explique-t-il. En ce sens, l’attaque serait un rappel sanglant de ce qui pourrait attendre le Liban « à plus large échelle » si l’État échoue à gagner le contrôle exclusif sur les armes.
Mais pour Maher Awayad, leader d’Ansar Allah, un des groupes armés alliés au Hezbollah et influents à Aïn El-Héloué, elle a eu l’effet inverse : elle justifie, selon lui, la présence des armes au sein des camps, au vu de la menace sécuritaire israélienne. « C’est la preuve que le peuple palestinien doit conserver ses armes. Nous sommes la résistance et nous ne nous retirerons pas. »
