Les factions palestiniennes et des responsables locaux dénoncent un « massacre ».
Hôpital Hamchari de Saïda, 8h30, mercredi. Dans le lobby, un portrait de Yasser Arafat côtoie celui de Mahmoud Abbas. À gauche, dans un couloir, une forte odeur de détergent se dégage. Au fond, sous une lumière blanche, un panneau noir indique la « morgue ». Passé le seuil, des gants en latex jonchent le sol, certains tachés de sang. Une odeur de mort s’échappe d’une porte en acier qu’un secouriste vient d’ouvrir. Dix corps sont disposés dans une petite chambre glaciale, sous des couvertures noires ou blanches. Il n’y a pas assez de place. Certaines dépouilles mortelles gisent par terre.
Quelques heures plus tôt, dans la soirée de mardi, l’aviation israélienne a mené trois bombardements sur un terrain de football dans le quartier de la mosquée Khalid ibn al-Walid, dans le camp de réfugiés palestiniens de Aïn el-Heloué. Dans un communiqué, le porte-parole arabophone de l’armée israélienne Avichay Adraee affirme que les « mesures » nécessaires « pour éviter tout dommage aux civils (…) » ont été prises. La cible ? Le Hamas. Mais le mouvement palestinien, fortement implanté dans ce quartier, dénonce des « prétextes » et assure ne pas avoir d’installation militaire dans les camps palestiniens du Liban.
L’attaque israélienne a tué 13 jeunes de 16 et 17 ans, selon le ministère libanais de la Santé et le Hamas. Ils « jouaient au football », dit Houssam, un secouriste du Croissant-Rouge Palestinien. « Il n’y a pas de site militaire dans le lieu » visé, lâche un habitant du camp, présent à l’hôpital. « Tout ce qu’il y a dans la zone, ce sont des centres sociaux liés au Hamas, la mosquée, un dispensaire et le terrain de football au milieu de ce complexe. » Plus loin, un autre homme originaire du camp évoque la présence d’un « centre » du Hamas, sans donner plus de précisions. « Mais ils ont tué des gosses, ils ont tué des enfants », se lamente-t-il.
« Je l’ai identifié grâce à ses habits… »
Dans cet hôpital géré par le Croissant-Rouge palestinien et situé près de Aïn el-Héloué, un groupe d’hommes débarque, tenant la carte d’identité d’une des victimes. Ils cherchent Moustapha Ghoutani, tué aux côtés de deux de ses cousins. « Il n’est pas là », dit un proche, avant de se diriger vers l’hôpital Labib de Saïda. Là-bas, Ahmad Chehab, allongé sur son lit, ne parvient plus à ouvrir ses yeux. Le jeune de 18 ans se trouvait dans sa chambre lorsque l’armée israélienne a visé le camp avec au moins trois missiles. « La fenêtre a volé en éclats. Puis tout était noir », raconte l’étudiant en soins infirmiers, également blessé à la cuisse gauche et au pied droit. « J’ai peur de ne plus pouvoir voir. Le reste, peu m’importe », dit-il.
Trois corps se trouvent dans la morgue de cet hôpital. « Aucun n’est complet », lâche Riad Kanso, infirmier superviseur aux urgences. « Un martyr n’a toujours pas été identifié… Son visage est méconnaissable ». Parmi les victimes, Ibrahim Kaddoura, 17 ans. L’adolescent, élève à l’école Bissan de l’Unrwa, est rentré chez lui après ses cours pour manger un morceau, raconte sa mère Hiba, assise dans son salon à Hlaliyé, dans la banlieue de Saïda. Comme tous les mardis, il est allé rejoindre ses amis pour jouer au foot. Dans la soirée, lorsqu’elle entend les frappes au loin, « tout son corps se met à trembler. Comme si elle avait « compris » que la vie de son fils venait d’être fauchée. Mais cette femme de 37 ans, mère de trois enfants, refuse d’y croire et attend qu’Ibrahim rentre à la maison. Aux alentours de minuit, elle demande à son époux de faire le tour des hôpitaux. « Je l’ai identifié grâce à ses habits… » relate le père, Mohammad Kaddoura, infirmier à l’hôpital Hamchari. « Ils ont tué des enfants », renchérit une tante, en larmes.
« La peur m’a paralysé »
Au lendemain de la frappe, les rues du plus grand camp de réfugiés palestiniens sont vides. Les devantures des commerces sont tirées et les écoles fermées, rapporte notre correspondant sur place. Les factions palestiniennes allant du Hamas au Fateh ont annoncé une grève générale en hommage aux victimes et pour condamner le raid.
Près du lieu de l’attaque, des carcasses de voitures endommagées par la puissance des déflagrations jonchent les rues. De service au moment des faits, un gardien explique que « rien ne laissait entendre qu’un avion s’approchait » et « soudain, une forte explosion a retenti, puis une autre, et une troisième, plus violente ». En quelques secondes, « je comprends que les avions israéliens bombardent le camp ». Un peu plus loin, Mahmoud, qui jouait avec ses enfants lors du raid, a « couru pour les protéger », dès la première frappe. « À la deuxième, j’ai essayé d’ouvrir la porte pour fuir, mais la peur m’a paralysé. La troisième a complètement arraché la porte : la maison s’est retrouvée dévastée envahie par la fumée. »
Dans le quartier Baraksat du camp, des femmes sont assises devant l’immeuble des Khachan. Durant deux heures, la famille d’Amjad Khachan, 16 ans, était sans nouvelles de lui. Le jour de sa mort, il avait rassemblé 50 dollars pour la restauration de la mosquée, avant de rejoindre ses amis pour une partie de foot. « Son corps était coincé sous les décombres », raconte Saleh, 37 ans. C’est lui qui identifiera la dépouille mortelle de son frère. « Son visage était intact. Il était blessé au niveau des jambes », raconte-t-il. Amjad était le petit dernier d’une fratrie de quatre enfants. Le « préféré » de tous et le seul à vivre encore avec sa mère. « Il était tout pour elle. Dans le quartier, il aidait tout le monde », se souvient-il. Amjad et ses amis seront enterrés jeudi.
À 15h, une marche a eu lieu à Aïn el-Héloué pour « confirmer la résistance et la résilience contre l’ennemi israélien ». À Saïda, une réunion rassemblant plusieurs personnalités politiques, municipales et religieuses a eu lieu dans la matinée, à l’invitation du mufti de la ville Salim Soussane. Celles-ci ont condamné le « massacre » à Aïn el-Héloué et appelé les Libanais et Palestiniens à l’unité. Le Hezbollah a également condamné le bombardement, estimant qu’il constitue une « attaque contre le Liban et sa souveraineté » et une violation flagrante de l’accord de cessez-le-feu de novembre 2024. Il a appelé les autorités à prendre une « position ferme et unie » pour dissuader les attaques israéliennes. L’indignation a également touché la capitale Beyrouth. Pour protester contre cette attaque, des dizaines d’habitants du camp de réfugiés palestiniens de Chatila, ont ainsi organisé une manifestation spontanée.
