Le Sénat abrite un colloque financé par Israël

La manifestation est organisée lundi par le lobby Elnet. Selon les informations de Mediapart, le ministère des affaires étrangères israélien s’est engagé à financer cet évènement à hauteur de 72 000 euros. Et ce, alors que l’association assurait jusqu’alors être totalement indépendante du gouvernement Nétanyahou.

Lundi 10 novembre, le Sénat accueillera la deuxième édition d’un « sommet annuel » de la « coalition mondiale des femmes contre les violences basées sur le genre utilisées comme armes de guerre », sous le patronage de la sénatrice centriste Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes au Palais du Luxembourg. Aurore Bergé, la ministre déléguée chargée de l’égalité, interviendra en amont d’une table ronde. Le programme de l’évènement annonce aussi la présence de Manuel Valls, d’élu·es français·es et étranger·es, dont des représentant·es du gouvernement israélien, de juristes et d’ONG.

Cette journée est organisée par le lobby pro-israélien Elnet, dont la branche française a ses entrées au Parlement. L’association, qui a envoyé depuis 2017 une centaine de parlementaires en Israël, tous frais payés, assurait jusqu’ici être financée « à 100 % » par des contributions privées et n’être « assujettie à aucun gouvernement israélien, passé, présent ou futur ». Pourtant, selon les informations de Mediapart, le gouvernement de Benjamin Nétanyahou s’est bien engagé à financer une partie du colloque de lundi, à hauteur de 72 000 euros, comme en témoigne un document officiel disponible sur le site de l’administration des marchés publics de l’État d’Israël.

Il s’agit du contrat d’engagement signé par le ministère auprès d’Elnet le 17 août, afin de financer le fameux « sommet ». Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le gouvernement Nétanyahou soutient de cette manière la branche française du lobby puisque Mediapart a également découvert un autre financement, en janvier 2020, pour un évènement organisé en décembre 2019, en partenariat avec la Ville de Nice (Alpes-Maritimes), la Métropole Nice Côte d’Azur et la région Sud-Provence‑Alpes‑Côte d’Azur (Paca).

Officiellement, le colloque organisé au Sénat vise à « renforcer la coopération mondiale contre les violences faites aux femmes dans les zones de conflit », à « promouvoir la justice internationale pour les victimes » et à « encourager les États et les institutions à s’engager concrètement pour la prévention, la protection et les poursuites ». Mais selon le premier avis favorable à son financement, rendu par le responsable de la « division des projets spéciaux » du ministère des affaires étrangères israélien le 30 avril dernier, l’« objectif » est surtout de « promouvoir des changements législatifs au niveau national ».

À ce jour, Elnet France n’a engagé aucune démarche d’inscription au répertoire de l’influence étrangère auprès de la Haute autorité à la transparence de la vie publique (HATVP), confirme celle-ci à Mediapart. Questionnés par nos soins, ni Elnet, ni sa branche française, ni le ministère des affaires étrangères israélien, ni la sénatrice Dominique Vérien n’ont répondu à nos questions (voir boîte noire).

Le gouvernement israélien recommande la discrétion

Dans la perspective du colloque du 10 novembre au Sénat, la diplomatie israélienne a provisionné 15 000 euros afin de couvrir le déplacement à Paris de deux ex-otages israéliennes kidnappées le 7-Octobre – qui ne figurent cependant pas dans le programme finalisé –, de leurs accompagnant·es et d’un·e avocat·e ; 15 000 euros supplémentaires pour « cinq femmes » venues « d’Iran, d’Ukraine, d’Afrique [sic], d’Irak, et de Syrie » ; 30 000 euros encore pour du « personnel juridique » ; et 12 000 euros enfin pour les frais de « location de salle ». Ces montants doivent être remboursés a posteriori à la branche israélienne d’Elnet, sur présentation de factures au ministère.

De son côté, Elnet a présenté un budget global de 189 000 euros, incluant des frais pour « l’équipe Elnet Israël », des services de traduction, des « rafraîchissements », la communication (« graphisme et médias », « société de production » et « studio de diffusion en direct »), et le défraiement des « avocats qui témoigneront lors de la conférence »,selon le document du ministère des affaires étrangères validant définitivement, en août, le financement israélien. Pourtant, le code de conduite du Sénat indique que les représentants d’intérêts doivent s’interdire « d’organiser des colloques […] dans lesquels la prise de parole d’un intervenant donne lieu au versement d’une participation financière ».

Si le ministère des affaires étrangères israélien s’est engagé à financer ce rendez-vous, c’est qu’il le juge « en conformité avec [ses] objectifs », peut-on lire dansle premier avis favorable rendu au mois d’avril. Il s’agit, écrit encore le ministère, d’une « occasion de renforcer la position politique et l’image d’Israël dans le monde ». Pour ce faire, Elnet a scrupuleusement suivi les conseils de son mandataire qui soulignait dans le même avis que « révéler des détails sur l’implication d’Israël dans l’organisation d’une conférence sur ce sujet en Europe pourrait soulever des sensibilités politiques ».

Pour bénéficier du prestige des ors de la République – un « dîner de gala » dans « les salons Pourpre » du restaurant du Sénat clôturera la journée, précise l’invitation à l’évènement –, Elnet a en effet su rester discret : le colloque de lundi n’a fait l’objet d’aucune publicité grand public, ni même auprès de l’ensemble des élu·es du Palais du Luxembourg.

Depuis quelques années, Elnet s’est spécialisée dans l’organisation de délégations de parlementaires en Israël. En France, l’association intervient également par le biais de #AgirEnsemble, un alter ego public portant des campagnes d’influence sous différentes formes : des sondages comme celui sur « La cohésion nationale à l’épreuve des divisions et de l’islamisme » commandé à l’Ifop en février ; des appels à mobilisations tel le rassemblement des « patriotes » organisé à Paris le 12 octobre ; des « masterclass » ; et des meetings, à l’image de celui « Pour la République, la France contre l’islamisme », qui s’était tenu le 26 mars, au Dôme de Paris.

Auditionné en commission à la Knesset le 26 mai 2024, le directeur exécutif d’Elnet Israël, Emmanuel Navon, s’était targué de mener un travail « en totale coordination et coopération avec le ministère des affaires étrangères, le Conseil national de sécurité et la Knesset », citant comme exemple le lancement par son organisation, quelques jours plus tôt, de la « coalition mondiale des femmes contre les violences basées sur le genre utilisées comme armes de guerre ».Celle-là même qu’Elnet réunit lundi au Sénat. Cette « coopération » effectuée dans la perspective d’évènements français n’est pas nouvelle.

Selon les documents budgétaires israéliens consultés par Mediapart, un contrat de 37 664 euros (139 454,73 shekels) à la faveur d’« Elnet Dialogue Strategique France-Israel » avait déjà été attribué – sans appel d’offre – au début de l’année 2020 par le cabinet du premier ministre, Benjamin Nétanyahou. Ces fonds avaient vocation à financer – a posteriori, toujours – le colloque « Safe & Smart City » organisé les 7, 8 et 9 décembre 2019 par Elnet, en partenariat avec la Ville de Nice, la Métropole Nice Côte d’Azur et la région Sud‑Provence‑Alpes‑Côte d’Azur.

Cette année-là, l’agglomération présidée par Christian Estrosi avait également décidé de verser 66 000 euros à Elnet, par le biais d’une convention de partenariat adoptée le 16 décembre 2019 par le bureau métropolitain. En 2017, le colloque « Safe & Smart City » avait déjà permis à Elnet de bénéficier de 27 000 euros d’aides indirectes en protocole et en communication de la part de la Métropole et de 50 000 euros venant de la Ville de Nice.

De nombreux relais politiques en France

Le financement de certains des événements d’Elnet par l’État israélien repose sur l’ampleur et la qualité du réseau politique que le lobby s’est forgé depuis sa création en France il y a plus de dix ans, mais aussi dans le reste de l’Europe (lire encadré). Le ministère des affaires étrangères israélien, reconnaît lui-même dans l’avis favorable rendu le 30 avril qu’Elnet dispose de « connaissances », de « relations » et de « compétences uniques » dans ce domaine.

Les documents pour l’attribution du contrat financier établi pour le colloque du 10 novembre mentionnent notamment les « patronages » de la sénatrice Dominique Vérien et de la ministre Aurore Bergé. Ce que dément l’entourage de cette dernière auprès de Mediapart. « La ministre n’a pas donné son patronage », assure son cabinet. Pas plus qu’elle n’aurait « initié » la coalition qui tient « sommet » au Sénat le 10 novembre, comme l’affirment les documents israéliens consultés par Mediapart la présentant comme « cofondatrice ». Également questionnée, Dominique Vérien n’a pas répondu.

Ancienne présidente du groupe d’amitié France-Israël (de 2019 à 2023), Aurore Bergé est une grande habituée des voyages en Israël avec Elnet. Selon son entourage, elle se contente de répondre à des invitations et d’« intervenir » dans certains évènements, comme celui de lundi dont elle dit tout ignorer du financement. Le 20 mai 2024, la ministre participait déjà « en vidéo » au premier rendez-vous de la « coalition mondiale des femmes contre les violences basées sur le genre utilisées comme armes de guerre », qui s’était tenu à la Knesset sous l’égide d’Elnet.

Le lancement en mai 2024 de cette coalition –qui n’a jamais eu d’existence légale indépendante ni même de site internet – s’est opéré sous le patronage de Shelly Tal Meron, députée centriste israélienne et présidente à la Knesset du groupe d’étude de « promotion de la diplomatie publique d’Israël ». Cette dernière, Dominique Vérien et Aurore Bergé s’étaient rencontrées deux mois plus tôt à Paris, alors que l’élue israélienne visitait les capitales d’Europe « dans le cadre d’une mission officielle sur l’éradication des violences sexuelles comme armes de guerre », selon le cabinet d’Aurore Bergé. Il précise aussi qu’Elnet France était présent lors de cette rencontre.

Sarah Benichou, Simon Mauvieux et Mathieu Rigouste

Un sous-traitant du ministère de la « propagande » israélienne en Europe

En janvier 2023, le ministère israélien de « la diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme » a vu ses prérogatives évoluer. La lutte contre « le phénomène de délégitimation [d’Israël] et des boycotts » a été intégrée à ses missions, lesquelles sont conduites en coordonnant « les efforts de divers organismes en Israël et à l’étranger », peut-on lire sur le site internet du gouvernement. Dirigé par Amichai Chikli, représentant de la branche la plus radicale du Likoud, ce ministère pilote de cette manière des opérations d’influence pour l’État israélien, alimentant la hasbara (« information » en hébreu, devenu synonyme de « propagande » dans le langage courant).

Selon un document du ministère de la diaspora, Elnet Pologne a ainsi été chargé en 2023 d’organiser une conférence pour regrouper les « acteurs de la société civile européenne pro-Israël engagés dans la lutte contre la délégitimation [de l’État hébreu] et l’antisémitisme » à Varsovie, entre le 22 et le 24 janvier 2024. Pour cet évènement, le ministère a versé 99 647 euros à la branche polonaise du lobby. L’objectif affiché, selon des documents consultés par Mediapart : « renforcer la coordination, la consultation et la synchronisation » de « ces organisations pro-israéliennes », afin de permettre « la mise en œuvre de la stratégie du ministère en Europe ». Contacté par Mediapart, le ministère de la diaspora n’a pas répondu.