Gaza : « Une nouvelle lutte nous attend pour surmonter les immenses souffrances, faire le deuil des morts et reconstruire »

Chirurgien ophtalmologique, Mohamed Moussallam témoigne de la magnitude des destructions commises par l’armée israélienne dans son quartier d’Al-Nasser, dans la ville de Gaza, et de l’état de traumatisme des Palestiniens.

« C’est comme si un séisme avait ravagé la ville de Gaza, comme si elle avait elle-même été tuée. Il y a tant de ruines qui encombrent les rues que l’on marche avec peine. Impossible, pour une voiture, de passer. » Ainsi le docteur Mohamed Moussallam, chirurgien ophtalmologique, résume-t-il au Monde, par téléphone (les autorités israéliennes interdisent depuis deux ans aux journalistes étrangers l’accès à l’enclave), son bref retour dans la ville de Gaza, vendredi 10 octobre, après l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu, accompagné d’un retrait partiel de l’armée israélienne de la zone septentrionale de ce territoire palestinien.

Dans son quartier d’Al-Nasser, situé dans le nord-ouest du grand centre urbain, il a retrouvé son immeuble toujours debout, mais son appartement fortement endommagé et inhabitable en l’état. Dans son voisinage immédiat, « une vingtaine d’immeubles ont été totalement pulvérisés, dont des tours, qui logeaient de nombreuses familles, parfois elles-mêmes déplacées. »

Le médecin est en état de sidération. Un choc qui est partagé, dit-il, par ses voisins et amis qu’il a rencontrés sur place. « En à peine plus de deux semaines, l’armée israélienne a infligé des destructions massives au quartier. Nous connaissons les dommages qui avaient été causés par des bombardements précédents. La situation est incomparable. Partout où l’on regarde, il y a des ruines. »

Le 19 septembre, Mohamed Moussallam, 40 ans, est contraint de quitter son domicile avec sa femme et ses trois enfants, en raison des frappes israéliennes de plus en plus proches et de la multiplication d’ordres d’évacuation. La famille se réfugie d’abord dans un autre quartier, à la clinique privée du spécialiste, qui travaille également au Gaza Eye Hospital.

Mais de nouveau, l’intensité des frappes, « par avions de chasse, par drones, par robots explosifs », les pousse à partir, « le cœur brisé, avec le sentiment que nous ne reverrions plus jamais notre ville. » Ils finissent par louer un appartement à prix d’or à Deir Al-Balah, dans le centre de l’enclave, avec la famille étendue du docteur Moussallam, dont ses parents, âgés et ayant besoin de soins médicaux.

« Une punition collective »

Après avoir passé une nuit dans la ville de Gaza, le médecin est revenu à Deir Al-Balah, samedi matin. Il a parcouru à pied une dizaine de kilomètres. Il avait fait la veille le trajet en sens inverse, dans le flot des dizaines de milliers de Gazaouis marchant vers le nord de l’enclave, un mouvement massif qui se poursuivait, samedi.

Pour sa part, c’est une visite en éclaireur que le spécialiste des yeux a accompli. Il est déterminé à revenir chez lui et prépare l’organisation. Il s’inquiète pour le retour de ses parents dans une ville où les infrastructures ont été détruites et où le déblaiement des gravats prendra du temps. « Comment allons-nousréparer, en l’absence de ciment ? Dans quelles conditions allons-nous revivre chez nous ? Où rentreront ceux qui n’ont plus de maison ? », interroge-t-il.

Mohamed Moussallam commence tout juste à prendre la mesure de ce qui a disparu. « Gaza, c’est notre terre, l’endroit où j’ai grandi, où j’ai mes souvenirs c’est aussi cela qui a été anéanti. » Le médecin cherche à comprendre le sens de la magnitude des destructions advenues au cours de l’ultime offensive sur la ville de Gaza lancée en août par l’armée israélienne, dans le but déclaré de venir à bout du Hamas. Un million d’habitants s’y concentrait avant cet assaut. « En s’acharnant sur la ville de Gaza, les Israéliens ont voulu la rendre invivable pour sa population, afin de pousser à une émigration massive le jour où le poste-frontière de Rafah [avec l’Egypte] ouvrira. »

Il dénonce « une punition collective, un nettoyage ethnique, un génocide » subis par les Palestiniens de Gaza en deux ans de guerre menée par Israël, qui a fait plus de 67 000 morts, dont une majorité de civils, selon le ministère de la santé de Gaza, dont les chiffres sont jugés fiables par les organisations internationales.

« Obtenir nos droits, comme celui de ne pas vivre sous blocus »

Le conflit avait été déclenché en représailles aux attaques sanglantes – plus de 1 200 morts – commises par le Hamas et ses alliés, le 7 octobre 2023, en Israël. « De quoi toute la population de Gaza était-elle coupable pour être soumise aux déplacements, aux destructions, aux bombardements sur une telle échelle ? », demande-t-il.

Le médecin a profité du répit, samedi, pour prendre des nouvelles de ses collègues. L’un d’eux devra rester à Deir Al-Balah : son logement, dans la ville de Gaza, a été totalement détruit « pendant les deux semaines qui ont précédé le cessez-le-feu… » Un autre ne peut pas non plus rentrer chez lui : des quartiers de l’est de la ville de Gaza restent inaccessibles, ainsi que des localités situées dans l’extrême nord de l’enclave ; ils se situent dans la zone où l’armée israélienne reste déployée, qui représente plus de la moitié du minuscule territoire.

Le plan Trump, annoncé fin septembre, ne comporte pas de calendrier pour les étapes suivantes du retrait. L’accord passé, dans la foulée, entre le Hamas et l’Etat hébreu, prévoit la libération d’ici à lundi à la mi-journée des otages encore captifs dans la bande de Gaza et celle de prisonniers palestiniens détenus en Israël.

Parmi les morts, Mohamed Moussallam songe au personnel médical qui a été tué par les frappes israéliennes. Les images des blessés de Gaza qu’il a soignés ne le quittent pas non plus. « Dans nos conversations, entre amis, nous disons souvent qu’une nouvelle lutte nous attend au terme de cette guerre – et j’espère que celle-ci va finir. Cette lutte est celle à mener pour surmonter les immenses souffrances que nous avons endurées, pour faire le deuil de nos proches qui ont été tués, pour reconstruire Gaza, obtenir nos droits comme celui de ne pas vivre sous blocus, et reprendre le fil de nos vies. »

Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)