Le nouveau système de distribution alimentaire mis en place dans l’enclave par la controversée Gaza Humanitarian Foundation, avec le soutien d’Israël et des Etats-Unis, viole tous les principes du droit international humanitaire, dénonce l’association des Juristes pour le respect du droit international (Jurdi) dans une tribune au « Monde ».
C e qui se déroule à Gaza incarne l’un des effondrements les plus brutaux du droit international humanitaire depuis sa création. Derrière une façade humanitaire, le gouvernement israélien met en œuvre, depuis plusieurs mois, un plan méthodique dans lequel l’assistance devient un outil au service d’un projet criminel. En mai, cette stratégie a été officiellement assumée par le premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui a annoncé la mise en place d’un nouveau système de distribution « afin d’éviter la famine pour des raisons pratiques et diplomatiques ». Mais, sous couvert d’humanitaire, il s’agit de légitimer, à des fins de propagande internationale, une politique de contrôle, de déplacement forcé et de destruction de la population palestinienne.
Première étape de ce plan : le vote, le 28 octobre 2024, par la Knesset, de l’interdiction de l’agence onusienne pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) dans les territoires palestiniens occupés par Israël. Dès son entrée en vigueur, en janvier, les autorités israéliennes ont restreint la liste des produits autorisés dans les convois (interdisant notamment le gaz de cuisson, les produits d’hygiène et les médicaments), et réservé la livraison de la farine aux boulangeries.
Deuxième étape : entre mars et mai, Israël impose un blocus total des convois humanitaires. Pendant onze semaines, aucune aide n’entre dans Gaza, affamant la population et préparant le terrain à un nouveau système entièrement contrôlé par l’armée israélienne.
Troisième étape : le 5 mai, Benyamin Nétanyahou – sous mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour « crimes de guerre pour l’utilisation de la famine comme méthode de combat » – annonce la création de la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), entreprise privée américaine dirigée par d’anciens militaires et opérée en lien étroit avec les forces de défense israéliennes. Cette structure, adossée à des sociétés de sécurité, incarne la militarisation assumée de l’aide humanitaire, en contradiction directe avec les principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance.
L’aide n’est plus qu’un instrument de pression, de contrôle et de déplacement forcé des populations. Avec ce nouveau système, les Palestiniens sont désormais contraints de se rendre dans des centres de distribution contrôlés par l’armée israélienne, tous situés dans le sud de Gaza. En obligeant les civils à choisir entre mourir de faim et être déplacés, Israël pousse la population à fuir les zones du nord et du centre, contribuant ainsi à sa politique de transfert forcé d’une population dont il veut se débarrasser.
La dernière étape de ce plan ne tarde pas à se révéler : dès la première distribution organisée par GHF, le 27 mai, à Tel Al-Sultan (Rafah), les pires craintes se confirment. Des images dystopiques montrent des civils contraints d’attendre de la nourriture, parqués derrière des barbelés, en plein soleil, sous la surveillance d’agents armés et de soldats israéliens. Nombre d’entre eux sont la cible d’interrogations, d’arrestations arbitraires et de tirs de la part de l’armée israélienne.
Crédibilité de l’action humanitaire
Et les crimes ne cessent de s’amplifier : depuis ce jour, les soldats israéliens qui participent à cette entreprise criminelle sont accusés par l’Organisation des Nations unies (ONU) d’avoir tué plus de 1 000 civils palestiniens près des sites de distribution d’aide humanitaire. Ces exécutions arbitraires se font en parallèle de bombardements massifs et continus, ciblant les infrastructures civiles : 92 % des logements, 94 % des hôpitaux et près de 70 % des infrastructures de Gaza sont détruits ou endommagés ; seules 4,6 % des terres agricoles restent cultivables, selon les différentes agences de l’ONU.
Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies qualifie Gaza de « région la plus affamée au monde », l’ensemble de sa population étant menacée par la famine, ce qu’Israël ne conteste pas. Au contraire, le gouvernement israélien revendique ouvertement l’utilisation de l’aide humanitaire comme un levier politique, militaire, et diplomatique, au cœur d’une stratégie non assumée visant à détruire les moyens de subsistance – et donc les conditions de survie – de la population. Ce siège organisé participe d’une politique de destruction systématique du groupe palestinien en tant que tel, soumettant les civils à des conditions d’existence devant entraîner leur destruction, en violation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et du statut de Rome.
Ce nouveau système de distribution, dont le Français Sébastien Cazenave assure désormais la logistique, viole ainsi tous les principes du droit international humanitaire. Il porte atteinte à la crédibilité de l’action humanitaire, détruit la capacité des acteurs impartiaux à répondre aux besoins et instrumentalise le droit à l’assistance en le transformant en outil de déplacement forcé, de propagande et, vraisemblablement, de génocide.
En tant que spécialistes du droit international humanitaire, nous condamnons l’utilisation de la famine comme arme de guerre, le détournement de l’aide à des fins de nettoyage ethnique, et les politiques génocidaires menées contre les Palestiniens à Gaza. Nous réaffirmons que seuls les agences onusiennes, le Comité international de la Croix-Rouge, le Croissant-Rouge et les ONG indépendantes ont la légitimité et la capacité de distribuer l’aide humanitaire dans le respect des principes fondamentaux.
La France et l’Union européenne doivent sanctionner ceux qui organisent délibérément la famine en entravant l’accès à l’assistance humanitaire, et mettre en place un embargo total sur les armes contre Israël. Enfin, la Cour pénale internationale doit approfondir ses enquêtes sur ces pratiques et envisager la poursuite des responsables de cette famine organisée en tant que génocide.
Signataires : Abdelwahab Biad, maître de conférences en droit à l’université Rouen-Normandie ; Alfonso Dorado, avocat au barreau de Paris ; Benjamin Fiorini, maître de conférences en droit à l’université Paris-VIII ; Zoé Paris, juriste spécialisée en droit international ; Ghislain Poissonnier, magistrat ; Raphaël Porteilla, professeur de science politique à l’université de Bourgogne-Europe ; Insaf Rezagui, chercheuse en droit à l’université Paris-Cité ; Farah Safi, professeure de droit à l’université Clermont-Auvergne ; Patrick Zahnd, professeur de droit international humanitaire à Sciences Po Paris. Tous les signataires sont membres du bureau exécutif de l’association Juristes pour le respect du droit international (Jurdi).