«Il faut faire peser ce conflit sur la société israélienne»

PROPOS RECUEILLIS PAR RODERIC MOUNIR | Le Courrier | Mercredi 29 Septembre 2010 | Cinéaste israélien originaire de Haïfa, Eyal Sivan est notamment l’auteur de Route 181, fragments d’un voyage….

PROPOS RECUEILLIS PAR RODERIC MOUNIR | Le Courrier | Mercredi 29 Septembre 2010 |

Cinéaste israélien originaire de Haïfa, Eyal Sivan est notamment l’auteur de Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël (avec Michel Khleifi, en 2004) et Jaffa, la mécanique de l’orange (2009). Il enseigne le cinéma à l’East London University et a cosigné avec Rony Brauman un Eloge de la désobéissance (Ed. Le Pommier/Fayard, 1999). Joint à Paris, il nous livre sa vision du «boycott de l’intérieur», dont il est l’un des ardents avocats.

Les artistes et intellectuels constituent en principe des remparts contre l’ignorance et la haine. Le boycott culturel n’est-il pas une arme à double tranchant?

Eyal Sivan: C’est une zone grise, oui. Mais sur le plan des principes, il n’y a aucune raison de ménager les institutions universitaires et culturelles qui bénéficient, d’une façon ou d’une autre, de l’occupation et discriminent les Arabes. Beaucoup d’artistes et d’académicien sont restés silencieux lors des dernières violations du droit international, au Liban, à Gaza et contre la flottille humanitaire. Pis, ils les ont soutenues. C’est un professeur de philosophie à l’université de Tel Aviv, Asa Kasher, qui a rédigé le nouveau code de conduite de l’armée israélienne dans la «lutte antiterroriste» – il préconise ni plus ni moins de kärcheriser l’adversaire.

A quoi sert le boycott?

A réveiller la société israélienne, à faire peser sur elle ce conflit qui lui paraît lointain. Aujourd’hui, plus de 85% des jeunes envisagent de rejoindre des unités combattantes, et une majorité ne veut pas d’Arabes dans les institutions. L’impunité criminalise Israël et le met hors la loi. Le boycott n’est pas anti-israélien, il ne vise pas les gens mais les institutions responsables de la situation.

Quelle différence faites-vous entre les boycotts étranger et intérieur?

Aux Européens, principaux acheteurs de marchandises israéliennes, le boycott pose la question suivante: «Qu’est-ce que je peux faire?» Cela dans un contexte de grand décalage entre l’opinion et les décisions politiques. Quant à moi, artiste israélien, je me suis retiré de plusieurs forums et festivals où avaient lieu des rétrospectives en présence de représentants israéliens. Comment des artistes de gauche peuvent-ils serrer la main d’officiels qui se servent d’eux comme alibi démocratique? En revanche, je réprouve le boycott par les artistes et intellectuels israéliens des colonies en territoires occupés. Il s’agit d’une discrimination de ces populations – le plus souvent immigrées –, que le gouvernement a poussées à s’implanter dans un but politique. Je ne fais pas partie de la gauche qui dénonce les colons comme l’ennemi. C’est hypocrite. Coloniser n’est pas un acte individuel, mais une politique d’Etat.