La vie des enfants palestiniens dans les prisons israéliennes

Le 13 mai prochain sortira le rapport « Enfances brisées : les mineurs palestiniens dans le viseur de la répression israélienne ». À cette occasion, nous sommes allés à la rencontre de ces enfants qui, malgré leur jeune âge, subissent les abus d’un système de détention militaire arbitraire.

Lorsque nous arrivons à Shu’fat, quartier de Jérusalem-Est, il nous faut plusieurs minutes pour repérer la maison de Mohammad. C’est que le jeune garçon qui nous accueille sur le pas de la porte fait plus que ses 15 ans. Nous levons la tête : plus de deux têtes nous séparent de l’adolescent à la tête d’ange. Il nous regarde décharger nos affaires et les transporter jusqu’à chez lui. S’il voulait nous aider, Mohammad n’aurait pas pu. Assigné à résidence depuis le 14 décembre 2015, il a interdiction de sortir de chez lui si ce n’est pour aller à l’école.

Mohammad a été arrêté le 3 novembre dernier, alors qu’il avait 14 ans © Anna Demontis / Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Arrestation arbitraire

Comme beaucoup d’autres enfants palestiniens, Mohammad a subi une arrestation arbitraire le 3 novembre dernier, alors qu’il n’avait que 14 ans. « La police israélienne venait pour son oncle et cherchait quelqu’un de grand, explique sa mère. Quand ils ont vu Mohammad, ils l’ont pris. » Après un long transfert qui le mène à la prison d’Ofer, située près de Ramallah (Cisjordanie), il est rapidement emmené à la station de police d’Al Mascobiyya (Jérusalem). On le soupçonne d’avoir jeté des pierres, mais aucun acte d’accusation n’est prononcé contre lui. Il voit sa détention provisoire entérinée et prolongée sans savoir pourquoi.

Retour à la case prison, mais cette fois-ci à Givon, ouverte aux détenus palestiniens en novembre 2015 pour faire face à la saturation des établissements pénitentiaires. Située au cœur d’Israël, Givon bafoue la IVe Convention de Genève, selon laquelle une population colonisée doit être détenue sur son propre territoire et non sur celui de la puissance occupante. Mohammad y passe 23 jours, qui se révèlent beaucoup trop longs pour un enfant de 14 ans.

Nervosité et angoisses

Il a beau être grand, c’est sa fragilité qui nous saute aux yeux en premier. Lorsqu’il parle de ces 23 jours, le jeune homme reste souriant, mais on comprend vite qu’il tente ainsi de masquer sa nervosité et ses angoisses. Placé dans une section réservée à des prisonniers israéliens de droit commun, il côtoie des jeunes qui ont, dans la majorité, autour de 18 ans. Il réussit tout de même à trouver deux garçons palestiniens du même âge que lui, qui deviennent ses amis. L’un vient d’Haïfa (Israël), l’autre de Gaza. Tous sont accusés d’avoir jeté des pierres.
Mohammad a beau être grand, c’est sa fragilité qui nous frappe en premier © Anna Demontis / Plateforme des ONG françaises pour la Palestine Mohammad a beau être grand, c’est sa fragilité qui nous frappe en premier © Anna Demontis / Plateforme des ONG françaises pour la Palestine

Néanmoins, ces liens d’amitié ne parviennent pas à atténuer un quotidien difficile. Traumatisé par son arrestation, Mohammad revit la scène à chaque fois qu’il ferme les yeux et ne parvient pas à dormir. « Je me souvenais du moment où ils sont venus m’arrêter et où ma vie a changé. » L’adolescent est appelé trois fois à la cour militaire de justice. Systématiquement, il doit affronter des transferts longs, allant jusqu’à 24 heures, et jalonnés d’insultes et de menaces de la part des soldats israéliens.

Grève de la faim et isolement

Mohammad est aussi de ces enfants qui ne se laissent pas faire. Si son caractère bien trempé peut être une force dans le contexte particulièrement difficile de la prison, il lui vaut aussi des représailles et un durcissement de ses conditions de détention : « Une fois, j’ai eu un problème avec l’administration, j’ai donc protesté contre ça et j’ai été mis en isolement pendant deux jours. » Il se retrouve, seul, dans une petite cellule à l’aménagement plus que sommaire. Un matelas en éponge, sans couverture, lui sert de lit, tandis qu’un simple trou fait office de toilettes. Au plafond, quatre caméras et un enregistreur espionnent ses moindres faits et gestes.

Selon l’UNICEF, plus d’un dixième des mineurs arrêtés sont maintenus en isolement pendant une durée moyenne de treize jours, dans une petite cellule sans fenêtre et parfois sans lit, une lumière allumée en permanence. S’il ne laisse pas de traces physiques, l’isolement est une forme de torture psychologique notamment parce qu’il brise les repères sensoriels. À la suite de cette expérience traumatisante, certains détenus sont approchés par un Palestinien se présentant comme un prisonnier, mais qui travaille en fait comme informateur pour Israël. Ce dernier gagne progressivement la confiance de l’enfant, jusqu’à lui soutirer des informations qui seront ensuite utilisées contre lui lors de la reprise des interrogatoires.

« J’ai aussi protesté contre la qualité de la nourriture, qui n’était vraiment pas bonne, raconte Mohammad. J’ai fait la grève de la faim pendant plusieurs semaines. » Le manque de sommeil et les carences alimentaires lui valent des pertes de connaissance et des trous de mémoire. Son incarcération remonte à seulement quelques mois et pourtant, le jeune garçon ne se souvient pas de tout. À plusieurs reprises, il doute, hésite, avant d’avouer ne plus se souvenir de ce qui lui est arrivé. « J’étais vraiment épuisé, mais le plus difficile pour moi c’est de comprendre pourquoi j’ai été arrêté et mis en prison. »

Alice Garcia et Anna Demontis

Retrouvez la suite de cette histoire la semaine prochaine sur notre blog Mediapart

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