Lettre des professeurs de l’université de Californie concernant la déclaration de principes contre l’intolérance

Aux : Professeur Kathleen Montgomery, Présidente de la Commission des Libertés Universitaires de l’Université de Californie ;

Professeur Jody Kreiman, présidente de la Commission des Libertés Universitaires de l’Université de Los Angeles ;

Professeur Dan Hare, président du Conseil Universitaire Général.

Nous, les soussignés membres de l’Université de Californie, vous exprimons notre vive inquiétude à propos du projet de « Déclaration de Principe Contre l’Intolérance ».Tous, nous nous opposons à l’intolérance et aux sectarismes de toutes sortes et sommes également conscients qu’il est de la plus grande des urgences d’établir et de défendre les principes de l’Université de Californie sur ces questions. Nous comprenons que ce projet de déclaration incluera « l’antisionisme » comme position « intolérante » et nous vous exhortons à reconsidérer cette formulation en raison des restrictions qu’elle imposera sur l’enseignement, les débats sur le campus, la recherche et les droits accordés aux étudiants, enseignants et personnels de l’Université par le Premier Amendement. Les membres du Conseil d’Administration ont reconnu les failles de la désormais discréditée définiton de l’antisémitisme par le Département d’Etat, qui assimilait la critique de la politique de l’état d’Israël au sectarisme et à la discrimination contre les Juifs, lorsqu’ils ont rejeté cette formulation à l’été 2015. Nous pensons que cette formulation est maintenant de retour en cherchant à considérer « l’antisionisme » comme une forme de sectarisme et d’intolérance, et nous vous demandons vivement de rejeter ce point de vue.

« Antisionisme » est un terme vague, souvent opposé à un grand nombre de positions politiques, que le terme soit ou non explicitement adéquat. Selon nous, la critique du sionisme, un ensemble politique de croyances et d’idéologie nationaliste, possède une histoire complexe qui s’étend sur presque un siècle, et qui ne doit pas être assimilée avec l’antisémitisme. Des états comme Israël et les Etats-Unis sont ouvertement critiqués en public, et leurs positions et politiques sont sujettes au débat critique, en accord avec les droits fondamentaux du Premier Amendement. La définition de « antisionisme » comme intolérance et/ou sectarisme est vague et de portée excessive, soulevant ainsi plusieurs problèmes tant pour l’interprétation que pour l’usage. Premièrement, qui décide qu’une position politique est « anti-sioniste » ? Et selon quels critères ? Deuxièmement, comment les critiques de l’état d’Israël à propos de sa politiques ou de ses lois seront-elles distinguées de l’ « anti-sionisme », ou bien deviendront toutes sujettes à cette allégation ? Trosièmement, comment les positions de principes pour ou contre le sionisme pourront-elles être activement débattues sur le campus, ou bien sera-t-il mis fin à tout débat de ce type ? Quatrièmement les débats sur l’histoire et le sens su sionisme déviendront difficiles à enseigner si, comme enseignants, on nous empêche de prendre en compte les critiques historiques et contemporaines du sionisme. Cinquièmement, comment les étudiants pourront-ils acquérir une compréhension bien informée de cette question, du plus grand intérêt public, s’il est interdit d’avoir les différents points de vue représentés et étudiés ?

Les critiques juives du sionisme ont été activement débattues au sein de la communauté juive depuis l’époque de Herzl, et nous serons incapables d’enseigner cette histoire (considérez à cet égard l’important travail de Hannah Arendt, le scepticisme de Franz Rosenzweig ou encore les robustes arguments échangés entre nationalistes et internationalistes). Parmi les exemples de ce type de critiques du sionisme, on trouve le travail de Juifs laïques opposés au sionisme en tant que doctrine religieuse investie d’une mission messianique, mais également de façon paradoxale, des Juifs orthodoxes qui étaient, et demeurent, opposés au sionisme parce qu’il s’agît d’une doctrine profane. Dans les premières décennies du vingtième siècle, les Juifs socialistes d’Europe de l’Est ont construit leurs arguments contre le sionisme en affirmant que les Juifs seraient mieux défendus par le Bund (Jewish Bund Party) représentant les droits des travailleurs. De nos jours même, le New Yorker publie des articles d’universitaires s’interrogeant sur la mort du « sionisme libéral », et Ha’aretz, le grand journal israélien, accueille réguliérement des débats pour ou contre le sionisme. En fait beaucoup d’immigrants en Israël y sont arrivés sans avoir jamais pris la moindre position sur le sionisme. Comment pourrons-nous comprendre ces phénomènes complexes si l’Université traite tout « antisionisme » de sectarisme et d’intolérance. ?

Peut-être sommes-nous arrivés à ce moment de l’histoire parce qu’existe la crainte que l’opposition au sionisme conduise à réfuter le droit d’Israël à exister en tant qu’état – la crainte étant que le peuple juif ait à nouveau à souffrir une destruction. Et pourtant, débattre de la structure d’un état, s’interroger sur les conditions de sa légitimité n’est en aucune façon une menace pour sa population. Si les universitaires veulent suivre les débats publics sur le type de structure étatique pertinente pour ces territoires, ils ne seront pas en mesure de demander, sans être accusés de sectarisme, si les structures existantes peuvent changer !

Encore une fois, Ha’aretz accueille de façon régulière des articles discutant les solutions à un état et à deux états – pourquoi les universités devraient-elles être empêchées d’étudier cette question pressante, en écoutant et en prenant en considération un vaste ensemble de positions, même si certaines sont antisionistes ? Si par « défense du sionisme » on entend la défense de la structure actuelle de l’état, alors on nous demande, à nous, en tant qu’enseignants, d’adopter la position officielle sur cet état – en fait un « serment d’allégeance » à une autre nation – alors même que la structure ultime de cet état est activement débattue par les diverses populations vivant sous sa juridiction. Cet tentative de réduire l’antisionisme à du sectarisme, s’il elle réussit, stoppera toute enquête approfondie,minera notre mission éducative, et limitera le débat réfléchi et ouvert sur une question publique de la plus grande importance.

Nous nous opposons catégoriquement à toutes formes d’anti-sémitisme. L’anti-sémitisme, rhétorique ou pratiqué, est déplorable et n’a pas sa place, ni à l’Université de Californie ni ailleurs. Des slogans comme « Les sionistes devraient être envoyés à la chambre à gaz », gribouillés sur le mur des toilettes à Berkeley, et les swastikas sur le campus de Davis, sont nocifs et inacceptables. Les étudiants de l’Université de Los Angeles interrogeant une candidate au gouvernement étudiant l’année dernière avaient clairement tort de lui demander si le fait d’être Juive affecterait ses positions concernant la politique au Moyen-Orient. L’antisémitisme, comme toutes les formes de discrimination, telles le racisme et l’islamophobie, doivent être clairement combattues.

Nous vivons à une époque où des termes comme « sionisme » et « antisionisme » véhiculent des significations multiples et conflictuelles. La tâche de l’université est de fournir les conditions permettant d’étudier et de comprendre ces croyances et ces idéologies, de considérer leurs diverses formulations historiques, de clarifier les éléments de désaccord et de soumettre toutes ces positions à un examen critique et à un débat ouvert. Tel est l’esprit de la liberté universitaire auquel nous adhérons. Nous vous exhortons à ne pas adopter une position qui censurera des points de vue politiques considérés à juste titre comme une parole protégée par la constitution. L’enjeu concerne à la fois notre mission éducative et notre attachement aux droits constitutionnels.

Judith Butler, Maxine Elliot Professor of Comparative Literature, University of California, Berkeley

Smadar Lavie, Scholar in Residence of Gender and Women’s Studies, University of California, Berkeley

Robin Kelley, Professor of History & African Americans Studies, University of California, Los Angeles

Emily Gottreich, Chair of Center for Middle Eastern Studies, University of California, Berkeley

Karen Brodkin, Research Professor of Anthropology, University of California, Los Angeles

Mark LeVine, Professor of History, University of California, Irvine

David Shorter, Professor and Vice Chair of World Arts and Cultures/Dance, University of California, Los Angeles

Ivonne del Valle, Associate Professor of Spanish and Portuguese, University of California, Berkeley

Elizabeth Freeman, Professor of English, University of California, Davis

Howard Winant, Professor of Sociology, University of California, Davis

Rei Terada, Professor of Comparative Literature, University of California, Irvine

Mary-Kay Gamel, Research Professor Emerita, Literature, University of California, Santa Cruz

Ross Frank, Associate Professor of Ethnic Studies, University of California, San Diego

Joan Donovan, Post Doctoral Researcher, Institute for Society and Genetics, University of California, Los Angeles

Caren Kaplan, Professor of American Studies, University of California, Davis

Hector Fattorini, Emeritus Professor of Mathematics, University of California, Los Angeles

Susan Slyomovics, Professor of Anthropology, University of California, Los Angeles

Rutie Adler, Lecturer, Near Eastern Studies, University of California, Berkeley

Jerome Hoffman, Professor Emeritus, Medicine, University of California, Los Angeles

Donna Haraway, Distinguished Professor Emerita, History of Consciousness, University of California, Santa Cruz

Carole Browner, Professor, Semel Institute for Neuroscience and Human Behavior, University of California, Los Angeles

Mark Delucchi, Research Scientist, Institute of Transportation Studies, University of California, Berkeley

Flagg Miller, Professor of Religious Studies, University of California, Davis

Gail Hershatter, Distinguished Professor of History, University of California, Santa Cruz

Baki Tezcan, Associate Professor of History, University of California, Davis

Hunter Bivens, Associate Professor of Literature, University of California, Santa Cruz

Eric Smoodin, Professor of American Studies, University of California, Davis

Helene Moglen, Professor Emerita of Literature, University of California, Santa Cruz

Brian Harvey, Teaching Professor Emeritus, EECS, University of California, Berkeley

Richard Plevin, Research Engineer, Institute of transportation Studies, University of California, Davis

Gary Fields, Associate Professor of Communication, University of California, San Diego

Hannah Appel, Assistant Professor of Anthropology, University of California, Los Angeles

Natalia Deeb-Sossa, Associate Professor of Chicana/o Studies, University of California, Davis

Christine Hong, Assistant Professor of Literature, University of California, Santa Cruz

Carla Freccero, Distinguished Professor of Literature, University of California, Santa Cruz

Kamala Visweswaran, Professor of Ethnic Studies, University of California, San Diego

Rosaura Sanchez, Professor of Literature, University of California, San Diego

Hsuan Hsu, Professor of English, University of California, Davis

Nancy Gallagher, Research Professor of History, University of California, Santa Barbara

Minoo Moallem, Professor of Gender and Women’s Studies, University of California, Berkeley

Christos Papadimitriou, Professor, EECS, University of California, Berkeley

Lawrence Waldron, Professor Emeritus of Environmental Science Policy & Management, University of California, Berkeley

Randy Katz, Professor, EECS, University of California, Berkeley

Ismail Poonawala, Professor Emeritus of Near Eastern Languages & Cultures, University of California, Los Angeles

Andrea Steiner, Continuing Lecturer of Community Studies, University of California, Santa Cruz

James Rauch, Professor of Economics, University of California, San Diego

Sean Keilen, Associate Professor of Literature, University of California, Santa Cruz

Leslie Salzinger, Associate Professor, Gender and Women’s Studies, University of California, Berkeley

Pravin Varaiya, Professor Emeritus, EECS, University of California, Berkeley

Erich Gruen, Professor Emeritus of History and Classics, University of California, Berkeley

Bishnupriya Ghosh, Professor of English, University of California, Santa Barbara

Bhaskar Sarkar, Associate Professor of Film and Media Studies, University of California, Santa Barbara

Paul Baumann, Professor Emeritus of Microbiology, University of California, Davis

Curtis Marez, Associate Professor of Ethnic Studies, University of California, San Diego

Wendy Brown, Class of 1936 First Chair, Political Science, University of California, Berkeley

Gil Hochbebrg, Professor of Comparative Literature , University of California, Los Angeles

Tanya Golash-Boza, Associate Professor of Sociology, University of California, Merced

George Bisharat, Emeritus Professor of Law, University of California

Dennis Kortheuer, Lecturer of History, University of California

Justin Leroy, Assistant Professor of History, University of California, Davis

Sharon Kinoshita, Professor of Literature, University of California, Santa Cruz

Melody Jue, Assistant Professor of English , University of California, Santa Barbara

Natalia Brizuela, Associate Professor of Spanish & Portuguese, University of California, Berkeley

Lisa Hajjar, Professor of Sociology , University of California, Santa Barbara

Craig Reinarman, Professor of Sociology, University of California, Santa Cruz

Yogita Goyal, Associate Professor of English/African American Studies , University of California, Los Angeles

Marisol De La Cadena, Professor of Anthropology, University of California, Davis

Gray Brechin, Visiting Scholar of Geography, University of California, Berkeley

Lisa Faigman, Lecturer of Law, University of California

Rosemarie Kuhn, Professor of French, University of California

Dwight Reynolds, Professor of Religious Studies, University of California, Santa Barbara

Gail Silverstein, Clinical Professor of Law University of California, Hastings

Alisa Lebow, Reader of Film Studies, University of California

Fernando Leiva, Associate Professor of Latin American and Latino Studies, University of California, Santa Cruz

Jocelyn Sharlet, Associate Professor of Comparative Literature, University of California, Davis

Claude Garrod, Professor Emiritus of Physics, University of California, Davis

Susan Schweik, Professor of English, University of California, Berkeley

Shauna Marshall, Professor Emerita of Law, University of California

Jaime Becker, Lecturer of Sociology, University of California, Davis

Millard Murphy, Lecturer of Law, University of California, Davis

Jeffrey Skoller, Associate Professor of Film & Media, University of California, Berkeley

David A. Smith, Professor of Sociology, University of California, Irvine

Marie Kennedy, Lecturer of Urban Planning, University of California, Los Angeles

Chris Tilly, Professor of Urban Planning, University of California, Los Angeles

Simona Sharoni, Professor of Gender & Women’s Studies, University of California

Stephen Frank, Associate Professor of History, University of California, Los Angeles

Beatrice Pita, Lecturer of Literature, University of California, San Diego

Thomas O’Neil, Professor, Emeritus of Physics, University of California, San Diego

Constance Penley, Professor of Film and Media Studies, University of California, Santa Barbara