Justifiés par le système : sévices et tortures au centre d’interrogatoires de Shikma

Les prisonniers palestiniens sont maintenus dans des positions douloureuses pendant des durées allant jusqu’à 35 heures, selon un nouveau rapport. L’Agence de sécurité d’Israël, connue sous le nom de Shin….

Les prisonniers palestiniens sont maintenus dans des positions douloureuses pendant des durées allant jusqu’à 35 heures, selon un nouveau rapport.

L’Agence de sécurité d’Israël, connue sous le nom de Shin Bet, confine les détenus dans des cellules répugnantes et si petites qu’un homme ne peut s’y étendre, révèle encore le rapport.

Rédigé par les organisations israéliennes de défense des droits de l’homme HaMoked et B’Tselem, le rapport se concentre sur le centre d’interrogatoires de Shikma, à Ashlelon, une ville qui se trouve dans ce qui est actuellement Israël.

Il se base sur 116 déclarations écrites sous serment de « prisonniers de sécurité » palestiniens, la plupart étant toujours en détention au moment de leur témoignage.

Les détenus – pour la majorité, des hommes de moins de 25 ans et de la région d’Hébron en Cisjordanie occupée – rappellent leur arrestation, transfert, interrogatoire et leurs conditions de détention auprès d’avocats se tenant derrière une cloison en verre, les jambes des détenues attachées à leur chaise, et sous la surveillance d’un gardien de prison.

Le rapport est le résultat d’une enquête de trois ans. Plus de la moitié des détenus questionnés pour le rapport ont déclaré s’être vus interdire toute rencontre avec un avocat ou refuser tout contact avec le Comité international de la Croix-Rouge, pendant tout ou partie du temps où ils ont été à Shikma.

Ceci bien que les propres règles pénitentiaires d’Israël stipulent qu’un prisonnier doit être autorisé à contacter la Croix-Rouge dans les deux semaines de sa mise en détention.

Collaboration

Le rapport insiste aussi sur la collaboration existant entre les forces de la Sécurité préventive de l’Autorité palestinienne avec le Shin Bet.

Trente-neuf des détenus questionnés avaient été arrêtés et interrogés par l’Autorité palestinienne (AP) avant d’être arrêtés par Israël.

La plupart d’entre eux ont été arrêtés par Israël moins d’un mois après avoir été libérés par l’AP, et le plus souvent, interrogés sur les mêmes sujets.

Adi Awawdeh, 21 ans, a été mis en détention par l’AP pendant 70 jours, au cours desquels il a été physiquement et mentalement torturé. Juste une semaine après sa libération, Awawdeh est arrêté par Israël. Quand il arrive à Shikma, l’Israélien qui l’interroge lui montre son dossier qui vient de l’AP et lui dit, « Voilà ton dossier. Tout est prêt. Veux-tu ajouter quelque chose et nous faire gagner du temps ? ».

Le rapport accuse les médecins du centre de détention de complicité avec le programme des tortures. Un étudiant du secondaire de 18 ans a eu le visage enflé suite aux coups qu’il avait reçus par les soldats sur le chemin pour venir à Shikma.

Alors que l’étudiant était aussi épileptique, qu’il avait des problèmes de santé mentale, et qu’il avait été blessé par des éclats d’obus deux ans plus tôt, un médecin du centre l’a déclaré en bonne santé.

L’étudiant n’a reçu aucun soin régulier durant ses 44 jours passés au centre. Une fois, après qu’il a perdu conscience alors qu’il était attaché à une chaise, un médecin lui a donné des analgésiques, et l’interrogatoire a pu reprendre.

Une cruauté approuvée par les tribunaux

Le rapport note que les sévices à Shikma sont loin d’être des cas isolés. Il montre clairement que le système d’interrogatoires appliqué dans ce centre a été modelé par l’État d’Israël, et il décrit ces traitements cruels et dégradants comme « inhérents » à la politique du Shin Bet.

Le ministère de la Justice d’Israël a réagi au rapport par le dédain, accusant ses auteurs de « déformer la réalité existante » pour faire avancer leur agenda sur la base « de quelques incidents isolés ».

Mais en réalité, les méthodes d’interrogatoire décrites dans le rapport ressemblent de façon frappante à celles que le gouvernement et le système judiciaire israéliens ont déjà autorisées.

En 1987, la Commission Landau, nommée par l’État, a examiné les méthodes d’interrogatoires du Shin Bet. Conduite par Moshe Landau, président alors de la Cour suprême d’Israël, la Commission a conclu que les « pressions » tant physiques que psychologiques étaient nécessaires pour défendre Israël contre une « activité terroriste hostile ».

Le « terrorisme », selon la Commission Landau, inclut essentiellement toute activité liée au nationalisme palestinien.

Une annexe non publiée du rapport de la Commission a fait la liste des tactiques d’interrogatoires qu’elle considérait comme acceptables. Cette liste a été approuvée par l’État israélien.

En 1999, la Haute Cour d’Israël a apparemment interdit au Shin Bet d’utiliser les techniques approuvées par Landau, mais tout en laissant une option ouverte en cas de « bombes à retardement ». Cette exception a régulièrement été invoquée après le déclenchement de la Deuxième Intifada, deux années plus tard.

La décision a donné à Israël un cadre juridique dans lequel il peut pratiquer la torture, un cadre qui a été repris par la suite par les États-Unis.

Selon le rapport du Sénat des États-Unis sur la torture, publié en 2014, la CIA a soutenu en 2001 que « l’exemple d’Israël » pouvait servir de « base possible pour soutenir que la torture était nécessaire pour prévenir un dommage imminent, important, un danger physique pour les personnes, quand il n’y avait aucun autre moyen disponible pour l’empêcher de se réaliser ».

La torture et les sévices commis par Israël n’ont jamais été réservés aux « bombes à retardement ».

Firas Misk, 24 ans, d’Hébron, a été arrêté alors qu’il travaillait à Tel Aviv sans avoir eu l’autorisation de venir en Israël.

« Ils m’ont cogné la tête contre le mur plusieurs fois… Au moins trois d’entre eux se sont assis sur moi, me frappant comme des sourds, à coups de poing, me tapant sur la tête et la poitrine avec des matraques » dit Misk.

Des cellules comme des tombes

Le nouveau rapport démontre que la violence physique commence immédiatement après l’arrestation, laquelle se produit fréquemment dans le milieu de la nuit.

« Imaginez que vous êtes au lit avec votre épouse et que des soldats fassent irruption. Je me suis réveillé pour voir un soldat devant moi, pointant son arme sur moi » dit Ashraf Asfur, 34 ans, étudiant et agriculteur à Hébron.

La violence dès l’arrestation peut consister à jeter la tête d’un détenu contre le mur, dans des séances de violences qui peuvent durer jusqu’à une heure et demie. Un détenu a rapporté qu’il avait été frappé jusqu’à ce qu’il perde connaissance.

Le peu de nourritures que les prisonniers reçoivent une fois arrivés à Shikma est impropre à la consommation humaine. Des détenus disent avoir reçu des assiettes d’une nourriture crue, moisie et puante, parfois du poulet non cuit et des œufs pourris.

À Shikma, les séances d’interrogatoires peuvent durer jusqu’à plus de 24 heures. Les détenus y sont enfermés entre trois et 58 jours.

Durant les interrogatoires, les détenus sont placés dans des chaises avec des formes particulières, qui les contraignent à des positions éprouvantes. Par exemple, leurs chaises sont inclinées vers l’arrière ou vers l’avant, ou même sans pattes à la chaise.

Certains ont rapporté que leur chaise avait une cinquième patte fixée au sol depuis le milieu de la chaise, de sorte qu’ils tournoyaient autour de leur chaise tout le temps de l’interrogatoire.

Dans leur cellule, les détenus reçoivent des couvertures crasseuses, élimées, trop minces pour leur donner le moindre répit dans leurs cellules vraiment froides, infestées de cafards, mouches et autres insectes. Beaucoup de prisonniers développent des mycoses fongiques et autres problèmes de peau.

Certains détenus sont maintenus à l’isolement cellulaire pendant 18 jours consécutifs.

« Une cellule d’isolement cellulaire : c’est comme une tombe, avec une lumière jaune et sans fenêtre » dit Nur al-Atrash, 25 ans, d’Hébron. « Ils actionnent de l’air glacial, vous vous sentez impuissant. Il y a des moments où je me suis mis à me cogner la tête contre le mur, je ne savais plus quoi faire d’autre ».

Awad Ghaidan, 21 ans, propriétaire d’un magasin de pièces automobiles, à Qibya, a lui aussi comparé sa cellule à une tombe. « Vous vous mettez à rêver et à imaginer des trucs », dit-il. « Quelquefois, je me demandais si j’étais mort ou bien vivant ».