L’éducation sous occupation : perturbation quotidienne à l’université palestinienne

Alors que l’horloge se rapproche de midi quarante-cinq, je commence à appréhender avec impatience la vague de courriels que j’en suis venu à attendre à l’approche de mon cours de….

Alors que l’horloge se rapproche de midi quarante-cinq, je commence à appréhender avec impatience la vague de courriels que j’en suis venu à attendre à l’approche de mon cours de 14 h. Le cours porte sur le droit et les droits humains. Les étudiants envoient des courriels pour dire qu’une détérioration de la situation leur impose de rester dans la sécurité relative de leur propre secteur, leurs parents craignent, et c’est naturel, que circuler en Cisjordanie soit dangereux.

C’est devenu la réalité quotidienne de ce semestre pour les étudiants qui fréquentent l’université Al Quds, et l’université (Bard) Al Quds – un partenariat avec l’institution américaine des arts libéraux.

L’université lance bientôt un appel à l’évacuation du personnel et des étudiants. Dans un scénario totalement déprimant, mais finalement prévisible, les étudiants palestiniens ne seront pas en mesure de suivre leurs cours de littérature, droit, biologie ou de médias. Ceux qui sont sur place peuvent parvenir à la zone admise comme « sûre » avec des boules de coton imbibées d’alcool, distribuées par le personnel toujours vigilant du Croissant-Rouge palestinien pour conjurer les effets du déluge inévitable de gaz lacrymogènes.

L’université a essayé de continuer une vie aussi normale que possible. Le 13 octobre, l’université Al Quds a accueilli sur le campus le Président de l’Inde, Pranab Mukherjee, avec grand faste et splendeur, pour recevoir un diplôme honorifique. Des drapeaux indiens ornaient la magnifique enceinte du campus et les universitaires avaient revêtu leurs tenues de cérémonie pour applaudir à la visite du chef de file mondial.

Mais il y avait également des protestations émanant d’étudiants mécontents des violences qu’ils avaient subies à Jérusalem et ils se servaient de cette plate-forme pour attirer l’attention sur leurs souffrances du moment. Le contingent indien n’était pas parti de trois quarts d’heure que les forces israéliennes envahissaient le campus et qu’elles arrêtaient manu militari huit étudiants dans le même temps qu’elles occasionnaient des dégâts matériels importants un peu partout, selon le groupe estudiantin Mojama’a Alanshita, qui a posté sur Facebook une vidéo de quelques-unes des arrestations.

Étudier en état de siège

Située en périphérie d’Abu Dis, Al Quds est l’unique université palestinienne de Jérusalem. Les liens avec la Bard de New York, une éminente faculté d’arts libéraux des USA, ont permis l’ouverture d’un campus Bard dans l’enceinte de l’université Al Quds en 2009. Comme ses autres affiliations internationales, le campus comprend un mélange hybride de personnels et étudiants locaux et internationaux, ce qui ajoute à l’atmosphère vibrante et débordante d’énergie de l’enseignement.

Reflétant la détermination de la jeune génération qui refuse de succomber à toujours plus d’attaques contre ses libertés civiles, des étudiants viennent d’une ville palestinienne aussi éloignée que Naplouse pour lire Foucault, débattre du droit international, présenter leurs projets médias, et passer leurs examens de mi-session.

Après avoir eu de longues relations dans la région depuis 2009, la possibilité de travailler étroitement avec des collègues et étudiants palestiniens a été l’une des principales raisons pour mon épouse et moi-même de revenir en Palestine, acceptant des postes universitaires, ici à Al Quds et Al Quds (Bard).

Il s’est produit ici une sérieuse escalade dans le conflit ces dernières semaines. Malgré cela, les étudiants et professeurs sur le campus essaient toujours de générer un sentiment de normalité dans une situation qui est tout sauf normale. L’université reste ouverte comme et quand elle le peut, démontrant la détermination de la communauté universitaire à refuser de voir son droit à l’éducation perturbé.

Une violation du droit des Palestiniens à l’éducation

L’accès à l’éducation à tous niveaux est considéré comme un droit légal, qui apparaît dans la législation internationale à l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux articles 13 et 14 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et qui est réaffirmé dans d’autres conventions juridiques internationales.

Alors que les enfants sont reconnus comme les bénéficiaires voulus de cette protection juridique, il existe une acceptation que ceux qui répondent à la norme reconnue de l’enseignement doivent avoir la possibilité de fréquenter l’université où il est dispensé. Mais les étudiants palestiniens qui fréquentent l’université Al Quds, notamment ceux du programme affilié Bard, voient fréquemment leur accès à l’éducation limité.

Ceux qui se déplacent à travers la Cisjordanie pour suivre des cours sont soumis à une matrice de contrôle étendue, qui implique d’avoir à négocier à la barrière de séparation illégale et dont la construction se poursuit. Celle-ci est faite de béton, avec des check-points lourdement militarisés qui peuvent être, ce qui arrive fréquemment, fermés sur un coup de tête. Les gardes évoquent des « raisons de sécurité », mais pour les Palestiniens, cela relève d’une punition collective.

Ceux qui réussissent à se rendre aux cours pendant cette période difficile le font souvent en vain, les leçons continuant d’être violemment perturbées suite aux affrontements entre les forces israéliennes et les étudiants à l’extérieur du campus. La réponse autoritaire et draconienne des forces israéliennes, notamment par l’usage des gaz lacrymogènes et des balles d’acier enrobées de caoutchouc, cause le plus souvent aux étudiants des blessures sérieuses.

Un enseignement adapté

Comme la situation dans toute la région montre peu de signes d’apaisement, une approche pédagogique souple est devenue nécessaire. Nous en sommes arrivés à enregistrer des conférences en ligne, à fixer des tâches universitaires plus courtes et à réexaminer des programmes aujourd’hui grandement redondants en raison de la masse considérable de cours annulés.

Dans des moments comme ceux-ci, il devient de plus en plus important d’encourager et de susciter un contact régulier avec le personnel et les étudiants, et d’insister pour que les conférenciers qui ont pris la décision de venir ici puissent se tenir aux côtés de leurs étudiants, prêts et disponibles pour accompagner les engagements contractuels en dépit du climat conflictuel tendu.

Au milieu de ces bouleversements, de la perturbation et des attaques continuelles contre le personnel et les étudiants sur le campus de l’université Al Quds, je me demande si le réseau international des facultés Bard, et des facultés affiliées, à Berlin, Saint-Pétersbourg, au Kyrgyzstan, en Hongrie, Afrique du Sud, et la plus importante, à New York, allaient dénoncer cette situation ? Plutôt que le silence, la solidarité et le soutien devraient être exprimés dans ce réseau d’institutions à vocation identique, pour les étudiants de Palestine dont le droit à l’éducation est menacé.