Dans les prisons d’Israël, surpopulation extrême et traitements inhumains

Depuis le 7 octobre, les arrestations sont massives dans les territoires palestiniens occupés, dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie. Dans les prisons d’Israël, où les conditions de détention se sont gravement détériorées, plusieurs prisonniers sont morts.

OmarOmar Darjama, 58 ans, originaire de Tubas, en Cisjordanie occupée, mort le 23 octobre 2023, à la prison de Megiddo, deux semaines après son arrestation. 

Arafat Hamdan, 25 ans, originaire de Beit Sira, atteint d’un diabète insulinodépendant qui nécessitait des injections d’insuline régulières, mort deux jours après son arrestation, le 24 octobre 2023, à la prison d’Ofer. 

Abdul Rahman Marai, 33 ans, de Qarawat Bani Hassan, mort en novembre 2023 neuf mois après avoir été incarcéré à la prison de Megiddo. Sur son corps, des traces de grandes violences, selon un médecin de l’ONG israélienne Physicians for Human Rights (PHRI).

Tahir Abu Assab, 38 ans, originaire de Qalqilya, arrêté en 2005, détenu à la prison de Ketziot, annoncé mort le 19 novembre 2023 par l’administration pénitentiaire israélienne. Selon des témoignages de codétenus, il aurait été battu à mort.

Muhammad Elsbar, originaire de Ramallah, mort le 8 février 2024, à 21 ans, à la prison d’Ofer. Atteint de la maladie de Hirschsprung, il avait besoin d’une alimentation et d’un traitement adaptés, qu’il n’a pas reçus derrière les barreaux. Lorsqu’il a finalement été transféré à l’hôpital, c’était déjà trop tard.

Walid Daqqa, 62 ans, un des plus anciens prisonniers palestiniens détenus par Israël, atteint d’un cancer et privé de soins, mort le 7 avril 2024. 

Depuis le 7 octobre 2023, plusieurs dizaines de Palestiniens sont morts dans les geôles d’Israël, sous la garde de son administration pénitentiaire ou de son armée, selon les ONG de défense des droits humains israéliennes et palestiniennes. 

Celles-ci essaient de tenir un décompte, qui demeure approximatif, au vu des entraves qu’elles rencontrent pour obtenir des informations dans ces prisons où même le Comité international de la Croix-Rouge est interdit de visite. 

Elles dénoncent « une torture systémique généralisée », « un traitement inhumain » à l’égard des prisonniers et détenus palestiniens depuis le début de la guerre et relèvent « des preuves médico-légales suggérant que certains décès sont liés à des cas de violence grave ».

Vague d’interpellations en Cisjordanie

Les prisons débordent en Israël de Palestiniens de Gaza détenus secrètement sous le statut de « combattants illégaux », mais aussi de Palestiniens de Cisjordanie ou encore de Jérusalem, sous le régime de la détention administrative, un autre régime de détention arbitraire, qui permet à Israël d’emprisonner sans inculpation ni procès.

Le Club des prisonniers palestiniens évoquait en mai la mort de dix-huit Palestiniens dans les prisons d’Israël depuis le 7 octobre. Dans les installations de l’armée israélienne, ils seraient trente-six détenus de Gaza à être morts depuis le début de la guerre, selon une source militaire contactée par Mediapart. Un chiffre en deçà de la réalité, estime Oneg Ben Dror, de PHRI. 

Jeudi 20 juin, au lendemain d’une nouvelle vague d’interpellations en Cisjordanie, le Club des prisonniers palestiniens a fait état de 9 300 personnes détenues, dont près de la moitié le sont sans procès (bilan qui inclut aussi ceux qui ont été libérés dans la période mais pas les détenus de la bande de Gaza). 

Des chiffres inédits. « C’est une augmentation de 200 % par rapport à ces dernières années, note Oneg Ben Dror. Une vague massive d’arrestations a lieu à Gaza mais aussi dans toute la Cisjordanie. La surpopulation est extrême dans les prisons, où les conditions de vie se sont gravement détériorées à la demande du ministre de la sécurité nationale Ben Gvir. » 

Pénuries de matelas, accès limité, voire inexistant, aux soins médicaux et à un avocat, contact avec la famille interdit, confiscation de tous les biens, privation d’eau, de nourriture, d’électricité, malnutrition… Aux conditions de vie très difficiles s’ajoutent de graves violences, dont des violences sexuelles. 

Nous n’avions pas assez de couvertures, pas assez de matelas. L’eau était coupée, on n’y avait accès qu’une heure, l’électricité aussi. On n’avait qu’un repas par jour.

Cheikh Mohamed, six mois derrière les barreaux

Cheikh Mohamed en témoigne auprès de Mediapart. Son histoire illustre combien le système pénal et pénitentiaire sert l’occupation israélienne, comme le démontre le travail de l’historienne et anthropologue du politique Stéphanie Latte Abdallah, directrice de recherche au CNRS (CéSor-EHESS), notamment son livre La Toile carcérale. Une histoire de l’enfermement en Palestine (Bayard, 2021). 

Dans un entretien à Mediapart, la chercheuse, qui rappelle que « 40 % des hommes palestiniens sont passés par la détention en Israël depuis 1967 », explicite cette notion de « toile carcérale » : elle « se déploie dans les espaces sociaux et politiques, entend envahir les existences, les corps, les esprits », désigne à la fois « la réalité de l’incarcération massive, mais aussi une détention suspendue, c’est-à-dire une virtualité, une potentialité carcérale, la possibilité juridique, avec des dispositions diverses, d’enfermer nombre de Palestiniens à partir de l’âge de 12 ans, instaurant un véritable gouvernement de la population palestinienne par le système pénal ».

Trente kilos en moins

Cheikh Mohamed a passé treize ans de sa vie en prison, découpés en neuf périodes, dont six sous le statut de la détention administrative, assure-t-il. La dernière détention est survenue avec la guerre à Gaza. Ce père de neuf enfants, qui vit à Hébron en Cisjordanie, laboratoire de l’occupation et de la colonisation israélienne, était chez lui en famille le 18 octobre 2023 lorsque des soldats israéliens sont venus l’interpeller violemment, peu avant minuit.

« Ils m’ont battu, dit-il, devant ma femme et mes enfants, puis ils m’ont mis dans leur véhicule militaire et conduit à la prison d’Al-Naqab », dans le désert du Néguev. Cheikh Mohamed assure ne pas savoir pourquoi il a été arrêté. « Je n’ai commis aucune action violente, aucun délit ou crime, je ne suis pas membre du Hamas,affirme ce natif de Gaza, qui a perdu ces huit derniers mois dix-huit membres de sa famille sous les bombes. Je suis juste un ancien prisonnier politique qui lutte contre l’occupation israélienne et cela me rend suspect, encore plus depuis le 7 octobre, tous les Palestiniens sont suspects. »

À Al-Naqab, dans une cellule surpeuplée, il prend la mesure du durcissement des conditions de détention, « un avant et un après 7 octobre ». « Par le passé, nous avions obtenu des avancées à force de luttes, par exemple l’accès à des livres, au Coran. Aujourd’hui, tout nous est interdit. » 

Cheikh Mohamed passera six mois derrière les barreaux dans « des conditions inhumaines ». « J’ai été battu avec des tuyaux en métal,raconte-t-il. Ils nous déshabillaient de force pour être fouillés. Si l’un d’entre nous se plaignait ou parlait, nous étions tous punis. Nous n’avions pas assez de couvertures, pas assez de matelas. L’eau était coupée, on n’y avait accès qu’une heure, l’électricité aussi. On n’avait qu’un repas par jour. »

Libéré le 18 avril, avec trente kilos en moins, il retrouve sa famille, qui ne le reconnaît pas. Il dit être aujourd’hui plongé dans « une grave dépression », « avoir perdu le sommeil ». En sortant, il n’a pas réussi à tenir la promesse faite à ses codétenus : appeler leur famille pour leur donner des nouvelles. « J’étais tellement affaibli que j’ai oublié tous les numéros de téléphone que j’avais appris par cœur. » 

Contacté par Mediapart, le service israélien des prisons n’a pas répondu à nos questions quant au traitement qu’il réserve aux prisonniers palestiniens dans ses geôles. 

Rachida El Azzouzi

  • Photo: La prison d’Ofer, à Giva’at Ze’ev en Cisjordanie près de Ramallah, en novembre 2023. © Photo Debbie Hill / UPI / Abaca